béatrice schaad hospitalité hospitalière CHUV Unil
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12. septembre 2023

Interview

Hospitalité hospitalière

«Valoriser la relation entre soignant∙e et patient∙e sur le plan économique est capital»

Responsable de la communication du CHUV et professeure à l'Institut des Humanités en médecine (UNIL/CHUV), Béatrice Schaad publie l’ouvrage collectif «(In)hospitalités hospitalières: conflits, médiation, réconciliation». Elle se confie sur la création de l’Espace de médiation de l’hôpital et sur l’évolution de ce dernier. Interview.
Competence Muriel Chavaillaz

auteur

Muriel Chavaillaz

Journaliste de Competence pour la Suisse romande et le Tessin

muriel.chavaillaz@hplus.ch

Pour quelles raisons avez-vous eu envie de vous intéresser à l’hospitalité au sein de l’hôpital?

L’Espace de médiation, que l’on a ouvert en 2012, était pensé comme un lieu à disposition des patient∙e∙s qui avaient rencontré des difficultés durant leur prise en charge. Mais depuis 2016, des professionnel∙le∙s du CHUV viennent également trouver l’équipe de médiatrices et médiateurs lorsqu’elles et ils rencontrent des difficultés avec des patient∙e∙s. Ce phénomène est nouveau. Face à ces derniers, elles et ils vivent des situations de conflits ouverts, compliqués, douloureux, parfois très violents. Ce constat m’a amené à me questionner sur l’hospitalité de l’hôpital, non seulement pour les patient∙e∙s et les proches, mais aussi pour les professionnel∙le∙s, sachant qu’on s’attendrait plutôt à ce que toutes et tous disposent des conditions pour collaborer ensemble afin de lutter contre la maladie.

En six ans, 200 employé∙e∙s du CHUV se sont ainsi adressés à nous. Ils représentent aujourd’hui 12 à 13% du nombre total de personnes qui viennent déposer une doléance, soit quatre fois plus qu’à l’ouverture. Je me suis demandé: est-ce que l’hôpital est en train de devenir un lieu de conflit?

Le Covid a-t-il joué un rôle dans cette péjoration du climat?

Oui, sans doute. Pendant la pandémie, on a constaté des confrontations beaucoup plus violentes. On l’a aussi observé dans la société dans son ensemble, indépendamment de ce qui se passe dans l’hôpital. On observe une forme d’incivilité sociale qui est dénoncée dans d’autres secteurs de la société également, comme l’école par exemple. Ce n’est pas totalement surprenant que la dureté des confrontations pénètre également dans les murs de l’établissement.

Concrètement, comment fonctionne l’Espace de médiation?

Nous avons développé un système de monitoring informatique qui nous permet d’enregistrer de façon systématique et rigoureuse les différentes difficultés rencontrées par chaque personne qui vient dans ce lieu qu’il s’agisse de problèmes liés à la technique de soins, aux relations, ou à l’organisation de l’hôpital. Nous avons mis en place un système de classification des plaintes basé sur une centaine d’indicateurs qui permet d’avoir une vue très détaillée des insatisfactions. Dans cet espace, on s’intéresse à la perception, on ne fait aucune investigation, contrairement à une unité des affaires juridiques par exemple. Nous sommes partis du principe que si quelqu’un nous confiait une difficulté, il fallait que l’on s’y intéresse. Souvent, lorsqu’un∙e patient∙e vient dans cet endroit, elle ou il raconte plusieurs difficultés, c’est très rare qu’il n’y ait qu’une seule doléance. On peut par exemple se plaindre de l’annonce d’un diagnostic trop brutale ainsi que d’un traitement promis qui n’est jamais venu.

On va ensuite suivre ensuite la∙le doléant∙e aussi longtemps qu’elle ou il n’a pas retrouvé confiance en l’institution. Il était très important d’adosser le recueil de témoignage à ce système de recueil systématique de l’expérience pour pouvoir analyser ces données de façon à pouvoir les restituer à différents niveaux au sein de l’institution: les services, les départements, la direction générale, les experts en qualité.

Ce système de classement des sujets d’insatisfaction nous permet de savoir par exemple combien de personnes se sont plaintes X fois d’un même problème donné au sein d’un service spécifique. Nous remettons ces données de façon anonymisée aux directions de services qui développent à leur tour des projets d’amélioration des prises en charge inspirés des récits des usagers.

Le processus est-il le même lorsqu’il s’agit d’employé∙e∙s du CHUV?

Oui, on procède de la même manière. Cette méthode nous a permis de constater que sur les 200 professionnel∙le∙s qui ont sollicité l’équipe de médiation, un nombre important avait fait face à des violences de haute intensité. Les quatre médiateurs∙trices écoutent les professionnel∙le∙s et peuvent, si tel est le souhait de la personne, organiser une médiation avec la∙e patient∙e en question. Mais parfois, elles et ils viennent aussi raconter leur vécu, déposer cela auprès d’une oreille attentive, d’une personne neutre qui leur donnera des conseils pour gérer le conflit. Les médiateurs∙trices apportent différents types de soutien.

Êtes-vous pessimiste quant à l’avenir des relations entre patient∙e∙s et soignant∙e∙s?

Non, pas du tout. On a la chance de pouvoir disposer de récits extrêmement variés et riches, d’épopées hospitalières qui nous éclairent sur les besoins et attentes des patient∙e∙s et des professionnel∙le∙s, mais c’est un tout petit nombre. Au CHUV, nous avons 50’000 hospitalisations et plus d’un million de consultations ambulatoires par an, alors que seules 600 personnes viennent nous consulter chaque année. C’est peu, mais cela nous donne de précieuses pistes sur les façons dont on peut progresser, apprendre de ces plaintes.

Je suis tout sauf pessimiste, car chaque fois que l’on restitue ces données dans les services, ces derniers s’en emparent et développent des projets d’amélioration sur la base de ces récits. Quatre fois par an, nous rencontrons également la direction médicale et soignante. Suite à quelques témoignages, l’institution adapte ses pratiques pour faciliter la vie des patient∙e∙s et des proches.

Comment est né cet espace en 2012?

J’ai été notamment inspirée par le patron de la qualité au Mass General Hospital de Boston. Chaque vendredi après-midi, il bloquait son agenda pour recevoir un∙e patient∙e et toutes les personnes qui estimaient avoir été touchées par la qualité de la prise en charge (un∙e conjoint∙e, un∙ voisin∙e de pallier, une petite-fille, un∙e cousin∙e, etc.) Il apprenait ainsi beaucoup, en écoutant ces récits. Les patient∙e∙s et les proches repèrent des dysfonctionements dans le système et qui échappent à d’autres outils de veille de la qualité.

D’autres lieux de ce type existaient aussi en Suisse.

Oui, tout à fait. Les HUG notamment m’ont également inspirée. Mais chaque hôpital a développé cet espace différemment. Au CHUV, le fait que nous ayons pu développer ce lieu comme un laboratoire de production de données sur l’insatisfaction grâce à notre système de classement des plaintes, puis que l’UNIL décide de créer un poste académique et inédit de professeure sur les relations hospitalières, nous a conduit à donner à ce lieu une mission d’étude et d’enseignement sur l’amélioration des pratiques sur la base du vécu des usagers∙ères. Les besoins exprimés sont donc partagés à la fois dans l’hôpital et auprès des futur∙e∙s soignant∙e∙s sous forme de formations.

De plus, d’autres hôpitaux et établissements, plus petits, vous ont contactée par rapport à cette thématique.

Oui effectivement. On a transmis notre système à de plus petites structures, certaines ont repris notre monitoring. Je suis en discussion avec plusieurs hôpitaux intéressés par cela.

Est-il essentiel de créer un espace d’écoute au sein des hôpitaux?

Je pense que c’est une grande chance. Dans cet endroit, notre luxe est d’avoir du temps pour écouter les gens. Les patient∙e∙s et les professionnel∙le∙s se plaignent beaucoup du manque de temps. On n’intervient pas à la place des professionnel∙le∙s, mais de façon subsidiaire. On ne dénature pas le métier de soignant∙e au sens large, car ce dernier comporte forcément une part d’écoute. Mais lorsque le différend devient trop important, on peut alors faire appel à nos spécialistes en gestion de conflits. Dans un hôpital, c’est très important, car le nombre de malades chroniques ne cessent d’augmenter.

Si une personne quitte l’institution en étant fâchée, il y a de fortes chances qu’elle revienne dans le même état d’esprit. Traiter le conflit à sa source est primordial afin de rétablir la confiance mutuelle.

Lors d’une consultation, la tarification de base prévoit 5 minutes de discussion entre soignant∙e et patient∙e. Cela est-il un problème selon vous?

Je suis persuadée que la revalorisation économique du temps consacré à la relation est capitale. Le système de rémunération lui-même ne valorise pas le temps consacré aux actes non-techniques mais relationnels. Tant qu’il en sera ainsi, ce sera très compliqué de trouver le temps d’entretenir et, s’il le faut, de restaurer un lien de confiance. C’est malheureux, car cette question est essentielle, tant pour les professionnel∙le∙s que pour les patient∙e∙s.

Cette tendance persistante à raccourcir la durée des consultations et à rémunérer essentiellement les actes techniques est inquiétante.

(In)hospitalités hospitalières: Conflit, médiation, réconciliation (éd. RMS). Ouvrage collectif publié sous la direction de Béatrice Schaad. Dans ce dernier, 20 auteur-trices amènent des regards croisés sur la question de l’hospitalité de l’hôpital.

«Réenchanter le soin», Conférence donnée le 15 septembre 2023 avec la présence de Béatrice Schaad, de plusieurs auteurs et de Cynthia Fleury, professeure en philosophie, qui signe la préface de l’ouvrage.
Vendredi 15 septembre, en streaming (inscription)

Photo de titre: Béatrice Schaad (Félix Imhof/UNIL)