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7. octobre 2025

Innovation organisationnelle

Canton du Tessin

Télémédecine et oncologie: un suivi patient réinventé

À l’unité ambulatoire d’oncologie de l’EOC, la télémédecine et le télémonitorage permettent un suivi personnalisé des patient·e·s, de l’hôpital au domicile. Les équipes sécurisent ainsi les traitements et réduisent les hospitalisations grâce à l’intelligence artificielle. Le Dr Ricardo Pereira Mestre, chef de service de l'unité ambulatoire d'oncologie de l'Ente Ospedaliero Cantonale (EOC), répond à nos questions.
Competence Muriel Chavaillaz

auteur

Muriel Chavaillaz

Journaliste de Competence pour la Suisse romande et le Tessin

muriel.chavaillaz@hplus.ch

Comment la télémédecine s’est-elle installée à l’IOSI ? Pour quelles raisons vous êtes-vous lancé et comment a-t-elle évolué depuis son introduction?

Tout a commencé en 2020, au cœur de la pandémie. Nous avons lancé un projet pilote de télémonitorage des paramètres vitaux chez des patients oncologiques fragiles. En parallèle, nous avons mené l’un des premiers essais cliniques en Suisse approuvés par Swissmedic en mode totalement décentralisé: un médicament oncologique a été prescrit, administré et suivi intégralement au domicile via télémédecine et en collaboration avec un Spitex. Même si le recrutement a été limité, l’expérience a prouvé qu’il était possible de soigner des patients complexes à distance, en toute sécurité. Ce fut une étape pionnière qui a montré la voie vers une nouvelle organisation des soins.

Dr Ricardo Pereira Mestre, chef de service de l’unité ambulatoire d’oncologie de l’Ente Ospedaliero Cantonale (EOC)

La télémédecine et les soins virtuels sont souvent présentés comme une avancée, mais certains patients craignent une perte du lien humain avec leur médecin. N’y a-t-il pas un risque de déshumaniser la relation de soin?

C’est l’inverse que nous observons. Grâce au télémonitorage, le patient reste en contact permanent avec son équipe médicale et se sent davantage soutenu. Moins de consultations formelles à l’hôpital, mais plus d’interactions régulières, personnalisées et rassurantes. Le lien humain se transforme: il devient plus proche, plus continu, plus attentif.

Avec myDoctorAngel, vous proposez un «centre oncologique virtuel». Qu’est-ce qui vous a poussé à créer ce modèle et quels problèmes du système actuel cherchiez-vous à résoudre?

Lorsque nous avons voulu développer ces approches, nous avons constaté que les grands hôpitaux ont souvent des délais de décision et d’implémentation très longs. Innover de l’intérieur est complexe. C’est pour dépasser ces limites que nous avons créé myDoctorAngel (myDA) comme entité indépendante. L’idée est simple: catalyser le processus d’innovation et offrir aux hôpitaux une solution clé en main, personnalisable et activable immédiatement.

Avec myDA, un hôpital peut:
• Réduire la durée des séjours grâce à des sorties précoces sécurisées.
• Organiser des hospitalisations à domicile, avec un encadrement médical et infirmier digitalisé.
• Disposer d’une Digital Unit as a Service, sans investissement lourd, modulée selon ses besoins et ses ressources.

Aujourd’hui déjà, nous utilisons plusieurs plateformes et dispositifs médicaux du marché, choisis et adaptés selon la pathologie et le risque de complication.

Vous parlez d’un passage d’un système réactif à un système préventif. Concrètement, comment cette approche change-t-elle l’organisation du suivi des patients?

Le modèle classique réagit quand la complication est déjà installée. Avec myDA, le patient est suivi en continu : paramètres vitaux, questionnaires numériques, données des wearables (oxymètres, bagues et montres intelligentes, tensiomètres connectés). Cela vaut non seulement pour l’oncologie, mais aussi pour les maladies chroniques à haut risque d’exacerbation – par exemple la BPCO, l’insuffisance cardiaque ou rénale, le diabète compliqué. Dans ces pathologies, un suivi digital proactif permet d’anticiper une aggravation et d’éviter des hospitalisations coûteuses. Pour un hôpital, cela se traduit par moins d’urgences, moins de réadmissions, un meilleur flux patient – et des coûts réduits.

Comment assurez-vous la coordination entre les différents acteurs (oncologues, médecins de famille, infirmières, kinés, etc.) pour que ce réseau virtuel fonctionne?

La clé est notre réseau régional. Nous travaillons directement avec les Spitex de grande taille, les centres médicaux, les pharmacies locales et les hôpitaux. Notre rôle est de faciliter l’implémentation en fournissant:

  1. La bonne plateforme digitale.
  2. Le support médical et infirmier à distance.
  3. Une personnalisation de l’offre selon les besoins du partenaire.

En oncologie, nous adaptons le suivi au profil de toxicité du médicament.

Dans les maladies chroniques, nous adaptons le monitoring au profil de risque d’exacerbation. Cette personnalisation est possible grâce à l’expérience clinique et à l’intégration des données dans notre algorithm AI «AIceberg».

Selon vous, quelle sera la prochaine grande innovation organisationnelle en oncologie?

Elle est déjà en construction. Avec AIceberg, notre spin-off, nous développons la plateforme du futur:
• Patient-centrique et intégrée aux professionnels de santé.
• Basée sur une anomaly detection multiparamétrique: l’IA n’analyse pas seulement des seuils isolés, mais les tendances croisées de plusieurs paramètres issus des wearables. Elle peut ainsi détecter des anomalies complexes annonciatrices de complications, avant leur manifestation clinique aigu.
• Applicable autant à l’oncologie qu’aux maladies chroniques, pour transformer le suivi en une approche prédictive, proactive et durable.

myDoctorAngel repose sur une organisation innovante, mais aussi coûteuse. Pensez-vous que ce modèle puisse s’intégrer dans le système suisse actuel, qui reste très fragmenté et soumis à de fortes contraintes financières?

Notre modèle n’est pas un surcoût, mais une réponse directe aux contraintes financières:
• Nous réduisons les séjours hospitaliers.
• Nous permettons l’hospitalisation à domicile.
• Nous fournissons une Digital Unit as a Service, activable immédiatement.

Pour réussir à grande échelle, trois leviers sont essentiels:

  • TARDOC: les nouvelles tarifications doivent reconnaître la valeur du télémonitorage et du suivi digital.
  • La Confédération: un soutien politique clair est nécessaire pour encourager l’innovation organisationnelle.
  • Les investisseurs: nous recherchons actuellement des partenaires pour accélérer le développement de myDA et d’AIceberg.
    Dès les prochains mois, nous allons lancer une centrale nationale de télémonitorage et d’alarme, qui permettra à tout hôpital suisse de bénéficier immédiatement de ce service, aussi bien pour ses patients oncologiques que chroniques.

Notre ambition est claire: mettre à disposition des hôpitaux suisses une solution digitale clé en main, évolutive et immédiatement activable, qui améliore la qualité des soins tout en réduisant les coûts.

Avec myDoctorAngel et AIceberg, nous voulons montrer que la télémédecine en oncologie et dans les maladies chroniques à risque d’exacerbation n’est pas une promesse future, mais une réalité opérationnelle, évolutive et durable déjà disponible.

Photo de titre: via Canva.com

   

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