«J’ai été opéré la semaine passée, je viens de sortir de l’hôpital et on m’appelle aujourd’hui pour me dire que je vais me faire opérer demain». Un·e patient·e qui se plaint de sa prise en charge est à haut risque de se voir, qualifier de «difficile», voire soupçonné·e de souffrir de problèmes psychiatriques. Pourtant, en raison de la place qu’elles et ils occupent dans le système de soins, les patient·e·s et leurs proches identifient des déficits dans les prises en charge difficiles à monitorer par d’autres outils de veille de la qualité comme les erreurs de programmation d’intervention, l’accès aux soins contrarié, le manque d’égards ou l’orientation tardive vers les soins palliatifs.
Leurs vécus permettent en retour l’élaboration de projets d’amélioration des processus et de l’organisation, des relations entre les patient·e·s et les professionnel·le·s, ou dans le domaine clinique, de la sécurité ou de la qualité de la prise en charge.
Un seul témoignage peut éviter à de nombreux autres usagers·ères de vivre la même difficulté. Comme le patient cité ci-dessus dont le récit a permis de repérer une erreur au niveau d’une unité qui a bénéficié à l’ensemble des patient·e·s pris·es en charge par cette dernière, les signaux locaux peuvent inspirer des stratégies plus larges au niveau d’un service ou de l’hôpital tout entier. Par ailleurs, contrairement au personnel (limité par ses interactions épisodiques avec les patient·e·s), ces derniers·ères sont capables d’identifier les problèmes dans l’espace et dans le temps, y compris les difficultés entre les consultations et en dehors des murs de l’établissement hospitalier (par exemple, les ruptures dans la coordination des soins à la sortie)1.
L’Espace de Médiation entre patient et professionnels du CHUV (EMP) a été ouvert en avril 2012, dans la foulée d’autres lieux de médiation mis préalablement sur pied dans les hôpitaux comme celui des HUG. Un tel Espace peut s’organiser de différentes manières selon les établissements hospitaliers. Il peut lui être attribué l’unique mission de gérer les conflits. Un centre de médiation peut aussi avoir pour but, comme dans le modèle lausannois, de gérer les tensions tout en collectant l’expérience avec pour finalité de restituer ces données à différents niveaux de l’institution sanitaire (direction générale, services spécialisés, étudiant·e·s en soins ou en médecine, collaborateurs·trices administratifs·ves).
Le système de classification de la doléance au CHUV s’appuie sur la taxonomie développée par deux chercheurs anglais de la London School of Economics. Une méta-analyse portant sur 59 études internationales et 88 000 sujets de plaintes2 que nous avons complétée par une étude au CHUV sur les 253 premiers témoignages apportés à l’EMP3.
Le récit d’un vécu peut durer d’une heure d’entretien à plusieurs mois de suivi tant que la confiance avec l’hôpital n’est pas rétablie. Chaque expérience décrite peut contenir plusieurs sujets d’insatisfaction. Ceux-ci sont systématiquement classés dans une grande bibliothèque digitale de la doléance composée de trois méta-catégories: clinique, organisation et relations interpersonnelles. Celles-ci se subdivisent en sept sous-catégories et 28 sous-sous catégories.
Après chaque entretien, les médiateurs·trices classent chacun des sujets de difficultés rapportés par la·le doléant·e dans ces différentes catégories. Elles et ils peuvent les extraire en retour par thématiques, par moment de la prise en charge où s’est produit le problème, par service, etc. L’ensemble des données sont anonymisées.
À la lecture de ces chiffres, mais aussi des statistiques démographiques qui annoncent une population vieillissante et une pénurie grave de professionnel·e·s de la santé, il paraît d’autant plus crucial de se préoccuper non seulement de prévenir et de gérer le conflit, mais de créer dans les murs des structures hospitalières, les conditions d’une bonne relation entre celles et ceux-là même qui doivent coopérer afin de lutter contre la maladie.
1Van Dael J, Gillespie A, Reader T, Smalley K, Papadimitriou D, Glampson B, Marshall D, Mayer E. Getting the whole story: Integrating patient complaints and staff reports of unsafe care. J Health Serv Res Policy. 2022 Jan;27(1):41–49. doi: 10.1177/13558196211029323. Epub 2021 Jul 7. PMID: 34233536; PMCID: PMC8772011.
2 Reader TW, Gillespie A, Roberts J. Patient complaints in healthcare systems: a systematic review and coding taxonomy. BMJ Qual Saf. 2014 Aug;23(8):678–89. doi: 10.1136/bmjqs-2013-002437. Epub 2014 May 29. PMID: 24876289; PMCID: PMC4112446.
3Schaad B, Bourquin C, Bornet F, Currat T, Saraga M, Panese F, Stiefel F. Dissatisfaction of hospital patients, their relatives, and friends: Analysis of accounts collected in a complaints center. Patient Educ Couns. 2015 Jun;98(6):771–6. doi: 10.1016/j.pec.2015.02.019. Epub 2015 Mar 10. PMID: 25800651
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