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14. février 2023

CHUV – CERN

Interview

Radiothérapie Flash: première mondiale à Lausanne

En collaboration avec le CERN, le CHUV met au point un appareil révolutionnaire pour lutter contre les tumeurs. Une duplication dans d’autres hôpitaux est déjà envisagée. Jean Bourhis, chef du service de radio-oncologie, répond à nos questions.
Competence Muriel Chavaillaz

auteur

Muriel Chavaillaz

Journaliste de Competence pour la Suisse romande et le Tessin

muriel.chavaillaz@hplus.ch

Jean Bourhis, professeur et chef du Service de radio-oncologie, CHUV. (© Gabriel Monnet)

Comment est né ce projet?

Nous travaillons avec le CERN (Laboratoire européen pour la physique des particules) depuis près de 3 ans sur ce projet. C’est lors d’un congrès qui s’était déroulé à Lausanne que l’on a pu se rencontrer, discuter ensemble. De là est née cette collaboration riche et porteuse de sens.

Pourquoi travailler avec le CERN en particulier?

La radiothérapie Flash est une technique spéciale: la dose de rayonnements passe sur la zone ciblée en quelques millisecondes. Lorsque l’on souhaite traiter en profondeur en FLASH, il faut une puissance instantanée très forte pour y parvenir. La radiothérapie normale n’utilise pas une telle puissance. Obtenir cette puissance instantanée est un véritable challenge technologique: accélérer le plus de particules possibles en un temps le plus court possible. En tant que spécialistes de l’accélération des particules, les chercheuses et chercheurs du CERN étaient idéalement placés pour ce faire. 

Cette puissance peut-elle s’avérer dangereuse?

L’effet Flash est un phénomène biologique paradoxal qui a été mis en évidence il y a une dizaine d’années: l’irradiation délivrée dans des temps extrêmement courts épargne les tissus sains mais préserve le même effet sur la tumeur qu’une radiothérapie classique.

On ne sait pas pour quelles raisons cela se produit, mais cette observation est très reproductible et a été confirmée dans une trentaine de publications et de nombreuses institutions. Et se pose désormais la question du transfert clinique de cette observation, un peu hors du commun.

Y a-t-il toutefois des désavantages?

La difficulté, c’est qu’il faut pouvoir maitriser le faisceau puissant et rapide de cette technologie de pointe. C’est quelque chose de nouveau dans le domaine de la radiothérapie. Du côté des patients, des essais très préliminaires sur des cancers de la peau ont montré la bonne tolérance et la faisabilité de traitement Flash et montrent que ces traitements sont beaucoup plus courts que les traitements classiques. Cela peut à terme améliorer la qualité de la prise en charge des patient·e·s. On nourrit également l’espoir que les séances seront moins nombreuses, pour de meilleurs effets. En effet, la radiothérapie conventionnelle est délivrée en de nombreuses fractions , ce qui oblige le·a patient·e à se rendre très souvent à l’hôpital.

Image de synthèse (crédit: CHUV).

La création de cet appareil révolutionnaire donne énormément d’espoir aux malades et à leurs proches. A-t-on raison d’espérer?

Pour les tumeurs cutanées, des études cliniques sont déjà en vigueur avec des premiers appareils Flash qui ne peuvent traiter que en superficie. Si ces dernières s’avèrent concluantes, on pourra l’utiliser en routine d’ici quelques années pour ces tumeurs de la peau. Pour les tumeurs profondes, cela prendra davantage de temps: nous allons devoir construire un prototype, l’utiliser dans le cadre d’essais cliniques puis, si le Flash fait ses preuves, le transférer ensuite en routine.

Nous sommes actuellement dans la phase de construction et espérons que le prototype puisse être disponible en 2025 pour pouvoir traiter les premiers patients.

À terme, envisagez-vous de développer cette technologie dans plusieurs hôpitaux, en Suisse et à travers le monde?

Oui, absolument. Lausanne va être le premier, mais, avec nos partenaires, il est déjà envisagé de dupliquer l’appareil dans deux ou trois hôpitaux d’Europe.

Êtes-vous le seul hôpital à la pointe dans ce domaine ?

Le développement d’un tel outil avec des électrons est une spécificité de notre établissement, oui. D’autres développement Flash se font ailleurs dans le monde, mais avec des protons. C’est une autre problématique, les appareils sont très complexes, très lourds. Il nous semble que la mise au point du Flash avec des électrons est plus souple à mettre en oeuvre.

Pouvez-vous nous dire quelques mots de l’avant-projet, Flashknife, lancé en 2020?

Il ne s’agit pas d’un avant-projet, c’est un projet parallèle. Flashknife est un appareil qui fait de la radiothérapie flash uniquement sur les tumeurs superficielles. Cette technologie est limitée à des tumeurs superficielles (typiquement de la peau) de moins de 2 centimètres d’épaisseur. On peut l’utiliser pour les tumeurs de la peau ainsi que pour la radiothérapie intra-opératoire, pendant les interventions chirurgicales.

Sait-on pour quelles raisons certaines personnes atteintes d’un cancer ne répondent pas à la radiothérapie conventionnelle?

À ce jour, on ignore pourquoi certaines tumeurs résistent à la radiothérapie mais aussi aux autres traitements contre le cancer.

Avec la thérapie Flash, on a l’avantage que la radiothérapie est certainement bien mieux tolérée, on peut donner plus de doses à la tumeur et probablement contourner certaines formes de résistances.

Pensez-vous que cet appareil pourra, un jour, guérir tous les cancers?

Non. Il faut rester les pieds sur terre, le cancer est une maladie grave. Néanmoins améliorer de manière significative le taux de guérison est un objectif qui semble atteignable.

Photo de titre: Prototype (CHUV)

   

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