centre chirurgie ambulatoire genève
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11. février 2025

Sortir de la crise?

Canton de Genève

Public-privé: une révolution pour la chirurgie ambulatoire

Juliette Lemaignen dirige le plus grand centre de chirurgie ambulatoire de Suisse, qui ouvrira en 2026 à Genève. Un projet innovant associant les HUG au groupe Hirslanden. Interview.
Competence Muriel Chavaillaz

auteur

Muriel Chavaillaz

Journaliste de Competence pour la Suisse romande et le Tessin

muriel.chavaillaz@hplus.ch

Pourquoi les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) n’ont-ils pas créé seuls ce nouveau centre de chirurgie ambulatoire (CCA)?

Aujourd’hui, en Suisse, environ 30% des actes chirurgicaux se font en ambulatoire. Dans les pays les plus avancés, on avoisine davantage les 60, voire les 80%. Dans notre pays, les modèles financiers n’incitent pas à se lancer dans ce secteur.

Pour le médecin il y a un facteur qui peut aller jusqu’à 10 entre la rétribution pour un acte en ambulatoire et le même acte réalisé, en stationnaire avec des honoraires privés!

Mais tout le monde est conscient que l’ambulatoire est préférable pour la∙le patient∙e ainsi que pour le système de soins. Pour se lancer véritablement dans le secteur ambulatoire, transformer un bloc stationnaire n’était pas une option envisageable. Un plateau technique dédié et une architecture qui corresponde aux flux étaient nécessaires. La casuistique a également été au centre des préoccupations: il fallait être certains d’avoir assez de patient·e·s pour que le centre soit pérenne. De ce fait, l’idée de s’associer à un partenaire du privé, reconnu pour sa compétence et son efficience, est apparu comme une évidence.

«Si le retour à domicile n’est pas compris dans la prestation, l’ambulatoire ne peut pas fonctionner», souligne Juliette Lemaignen, directrice du Centre de chirurgie ambulatoire de Genève (DR).

Pourquoi le partenariat public-privé est-il bénéfique selon vous?

Nous bénéficions non seulement d’un volume de patient·e·s intéressant, mais également de l’expérience et du savoir des HUG et du groupe Hirslanden. Les deux entités mettent leurs forces ensemble, la gouvernance se fait à 50-50. En ce sens, ce centre est novateur dans le paysage helvétique.

Comment comptez-vous inciter les médecins et le personnel soignant à travailler dans ce nouveau centre?

La question ne se pose pas pour les médecins des HUG. La décision a été prise de ne plus du tout effectuer de chirurgie ambulatoire dans l’établissement, les médecins salariés de l’institution exerceront chez nous. Alors qu’ils s’entrecroisent aujourd’hui, les flux stationnaires et ambulatoires seront totalement séparés. Cependant, nous devrons convaincre les médecins «de ville», des avantages d’une telle plateforme.

Mais je suis confiante et je pense qu’elles et ils auront vraiment envie de venir, car nous ferons de l’ambulatoire avec un vrai plateau dédié: les conditions pour exercer seront idéales.

La création du CCA va-t-elle avoir un impact sur le nombre d’établissements de soins?

Je ne pense pas. La volonté des hôpitaux est de se focaliser sur les cas stationnaires compliqués. Aujourd’hui, il est difficile de le faire, il y a des listes d’attente et des délais car les blocs sont également utilisés pour de petits actes qui, à terme, seront effectués chez nous. Pareil pour les cliniques privées, qui trouvent leur plus-value notamment dans le service d’hôtellerie, le confort, l’hospitalité qu’elles proposent. Celles-ci ont toute leur valeur en stationnaire.

Financièrement, comment allez-vous vous y prendre pour que le centre soit viable?

Actuellement, ces patient·e·s ne sont pas «rentables» car certes, les incitations financières font défaut, mais aussi parce que les structures ne sont pas pensées pour elles·eux. Nous sommes dans une période d’entre deux: le bon sens fait que l’on va de plus en plus se tourner vers l’ambulatoire, mais les incitatifs ne sont pas forcément très présents.

En 2022, le Centre de chirurgie ambulatoire, fruit d’un partenariat entre le CHUV et MV Santé, a échoué. A ce moment-là, le virage vers l’ambulatoire n’était pas encore amorcé.

J’ai le sentiment qu’aujourd’hui, c’est le bon moment, les incitations politiques vont dans ce sens. Mais il faut encore aller plus loin pour que cela soit effectif: les actes effectués en ambulatoire doivent être rémunérés à la même hauteur que ceux qui sont réalisés en stationnaire. Les politiques doivent prendre leurs responsabilités pour que les forfaits soient attractifs. D’autre part, c’est totalement aberrant qu’un·e patient·e doive payer une quote-part de 10% de sa poche pour un acte effectué en ambulatoire, alors que ce n’est pas le cas s’il reste à l’hôpital. Cela n’a aucun sens!

Qu’en est-il des patient∙e∙s selon vous? Sont-elles∙ils impatient∙e∙s de cette évolution?

J’entends le discours qui dit que si la∙le patient∙e rentre chez elle∙lui le soir-même, c’est beaucoup mieux. Mais lorsque l’on a cotisé toute sa vie et que l’on doit se faire opérer un jour, ne préfère-t-on pas rester bien au chaud dans un lit, avec une infirmière qui vient vérifier votre état de santé et vous apporter un repas, plutôt que d’être renvoyé à la maison? De plus, dire à ses proches «Je dois me faire opérer, je vais rester quatre jours à l’hôpital» marque les esprits: les gens vont faire attention à vous, se soucier de votre santé. Pour certain∙e∙s, rester à l’hôpital est une manière d’exister. Rentrer chez soi immédiatement peut donner l’impression de ne pas être vraiment malade. Alors non, je pense qu’ils ne sont pas tous impatients de cette évolution.

Dans ce contexte, comment comptez-vous inciter les patient∙e∙s à subir une intervention en ambulatoire plutôt qu’en stationnaire?

Si le retour à domicile n’est pas compris dans la prestation, l’ambulatoire ne peut pas fonctionner. Nous travaillons activement sur cet aspect central. Une prestation complète doit inclure plusieurs éléments: retour à domicile, livraison de repas, soins à domicile, hotline pour les questions, garde d’enfants, etc.

Si, finalement, on prend soin des patient∙e∙s chez elles∙eux et non à l’hôpital, le bénéfice est réel, tant pour la personne opérée que pour la société et le système de soins. Car en termes financiers, la différence est abyssale. Mais la question du financement de ces prestations demeure.

Vous avez été à la tête d’un incubateur de start-ups. L’aspect innovatif vous manque-t-il?

Non, je le retrouve ici d’une certaine manière car le CCA est un projet très innovant qu’il faut intégralement bâtir. Cependant, ce qui me fait défaut, c’est la lourdeur des habitudes qui empêche de prendre certaines initiatives. J’ai le sentiment que, dans le monde de la santé, on essaie toujours de se protéger, de mettre des règles, toujours plus de règles. J’étais habituée à faire les choses de manière très intuitive. Je m’aperçois que, dans ce domaine, ça n’est pas évident. Mais je pense que c’est aussi une opportunité: avec mon esprit ouvert, je vois les choses différemment, j’apporte d’autres idées et je me fais très vite remettre sur le droit chemin si je déborde du champs des possibles. C’est une grande chance, mais aussi une très grande responsabilité.

Pour que le Centre soit rentable, toutes les décisions que l’on prend aujourd’hui, que ce soit le choix des brancards ou du logiciel par exemple, ont un impact. Tout doit être pensé de la manière la plus efficiente possible, pour demain mais également pour dans 10 ou 20 ans.

Photo de titre: Projection du futur Centre de chirurgie ambulatoire (crédit photo: CCA).

   

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