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10. octobre 2023

Pénurie de médicaments

Reportage

Gestion des pénuries au Service de pharmacie du CHUV

Les ruptures d’approvisionnement impactent au quotidien le fonctionnement des hôpitaux. Reportage au CHUV, où l’on se plie en quatre pour faire face aux traitements indisponibles.
Competence Muriel Chavaillaz

auteur

Muriel Chavaillaz

Journaliste de Competence pour la Suisse romande et le Tessin

muriel.chavaillaz@hplus.ch

Trouver des plans B, voire C ou D, tel est le quotidien de Gabriela Castro, pharmacienne au CHUV. 100% de son temps est consacré à la gestion des pénuries, à la recherche de fournisseurs ou de nouvelles thérapies pour pallier les médicaments manquants. «Nous devons procéder à de nombreuses analyses pour nous assurer des équivalences thérapeutiques, précise l’experte. Il faut évaluer tous les risques possibles, s’assurer que les dosages soient conformes, que les réglementations imposées par Swissmedic soient respectées.» Un travail titanesque puisque, chaque jour, de nouvelles substances manquent à l’appel.

Un coût certain pour les établissements de soins

«Cela fait vingt ans que le Conseil fédéral a été alerté au sujet des pénuries de médicaments, se souvient le prof. Farshid Sadeghipour, chef du Service de pharmacie à l’hôpital universitaire vaudois. Mais les chiffres sont désormais exponentiels: alors qu’une substance manquait par mois aux débuts des années 2000, nous sommes passés à une par semaine, puis une par jour. Depuis un an, nous pouvons connaître jusqu’à dix signalements quotidiens.»

Des ruptures qui ont un coût certain pour l’établissement. 3,5 à 4 emplois à temps plein sont totalement accaparés par la situation.

«De la comptabilité aux équipes informatiques en passant par toutes les unités de soins, chaque service est impacté, constate le Dr Pierre Voirol, pharmacien chef adjoint. Les coûts sont très importants, d’autant plus qu’ils sont entièrement assumés par l’hôpital: les assureurs ne rentrent absolument pas en ligne de compte dans le cas d’un équivalent qui coûte plus cher. Pire: ils vont jusqu’à refuser le remboursement si ce dernier ne provient pas du marché suisse.»

Défis logistiques à surmonter

Les défis qui se posent en termes de logistique sont considérables. Jusqu’à présent, le CHUV est toujours parvenu à anticiper toutes les ruptures d’approvisionnement afin d’éviter que cela n’impacte directement la·e patient·e. «La technologie nous aide à mieux gérer les flux, à répartir les médicaments selon les unités de soins qui sont plus ou moins consommatrices de tel ou tel produit, note le Dr Jean-Christophe Devaud, responsable de l’unité de logistique pharmaceutique. Cela demande beaucoup de flexibilité de la part de chacun·e, les services s’entraident les uns les autres.»

«Les raisons de la pénurie sont multiples, il serait erroné de se focaliser uniquement sur l’impact du Covid ou de la guerre en Ukraine, relève le prof. Sadeghipour. Aujourd’hui, tout est à flux tendu, le plus petit grain de sable peut avoir de sévères conséquences.» Et de citer l’exemple d’un fournisseur qui n’avait plus le papier adéquat pour imprimer la notice d’utilisation.

Dans le monde très normé du pharmaceutique, les validations sont multiparamétriques, des blocages peuvent subvenir à tout moment.

Dr Jean-Christophe Devaud, responsable de l’unité de logistique pharmaceutique

Manque de ressources pointé du doigt

Produire davantage de médicaments en interne serait-il une solution? «Non, répond catégoriquement le prof. Sadeghipour. 60 à 70% de notre production se concentre sur des médicaments individualisés, à destination des services d’oncologie et de néonatalité. Il nous arrive de fabriquer par lots certaines préparations qui n’intéressent pas l’industrie, en raison des quantités trop faibles. Mais nous n’avons clairement pas les ressources pour produire les médicaments qui font défaut.» De plus, difficile d’être réactif: étant donné toute l’infrastructure à mettre en place (se procurer la formule, trouver les matières premières, les excipients, procéder aux contrôles qualité, etc.), il faut compter trois mois au minimum avant de pouvoir produire un médicament qui réponde à toutes les exigences.

«On a dû interrompre énormément de projets pour faire face à ces pénuries, nos ressources sont restées les mêmes, souligne le Dr Voirol. Nous sommes à flux tendu.» Toutefois, des solutions se dessinent, comme celle d’une collaboration accrue avec les autres établissements de soins. «Nous mettons en place des pistes de réflexion pour travailler main dans la main avec ces derniers, se réjouit Gabriela Castro. Mais mutualiser un tel système prend du temps: la crise ne connait pas de répit.» Car le prof. Sadeghipour en est convaincu: cette situation est partie pour durer. «Tous les acteurs de la santé doivent désormais se mettre à table pour trouver une solution. Car financièrement, à eux seuls, les hôpitaux ne pourront pas continuer à supporter tout le poids de ces ruptures d’approvisionnement à répétition.»

Photo de titre: reportage dans les locaux du Service de pharmacie du CHUV (crédit: Hélène Tobler).

   

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