hôpital de l'île frein aux couts votation 9 juin bernhard pulver
Competence Readtime6 min
4. juin 2024

Votations du 9 juin 2024

Frein aux coûts: «une initiative dangereuse et problématique»

Les Suisse·sse·s se prononceront le 9 juin sur l’initative «Frein aux coûts». Le professeur Bernhard Pulver, président du conseil d’administration du Groupe Insel, nous explique les conséquences dévastatrices qu’un «oui» engendrerait pour notre système de santé.
Competence Muriel Chavaillaz

auteur

Muriel Chavaillaz

Journaliste de Competence pour la Suisse romande et le Tessin

muriel.chavaillaz@hplus.ch

Pour quelles raisons l’initiative «Frein aux coûts» est-elle dangereuse?

Ce qu’elle propose, sur le fond, est très problématique. Si l’on avait appliqué cela auparavant, on aurait gelé nos avancées médicales. De plus, l’initiative manque sa cible: le problème n’est pas l’explosion des coûts, mais l’approvisionnement de la Suisse en termes de prestations médicales. Cette initiative crée des problèmes plutôt que d’en résoudre.

Pourquoi lier les coûts de la santé à l’évolution des salaire est-il contestable?

À court terme, si l’on se retrouve face à une crise économique ou sanitaire, comme celle traversée lors du COVID, les salaires ne vont pas augmenter et les prestations médicales seront donc réduites. De plus, le vieillissement de la population et les progrès médicaux n’ont pas de corrélation avec l’évolution des salaires. La FMH a calculé que si l’on avait introduit cette initiative en l’an 2000, 37% de nos prestations médicales ne seraient plus réalisées en 2024. L’argent pour trouver de nouvelles façons de guérir le cancer ou les accidents cardiovasculaires par exemple aurait fait défaut. Les hôpitaux auraient été contraints de réduire drastiquement leur personnel.

Le professeur Bernhard Pulver, président du conseil d’administration du Groupe Insel, s’inquiète des répercussions de l’initiative «Frein aux coûts» si elle venait à être acceptée le 9 juin (crédit photo: Groupe Insel).

Économiquement, cela est donc un non-sens?

Tout à fait. Si une société s’enrichit, elle investit dans la santé. En Suisse, 11% du PIB est actuellement investi dans notre système de santé. La crainte des initiant·e·s est de penser que dans une centaine d’années, 100% du PIB soit consacré aux soins. Or, ce raisonnement est totalement erroné et absurde. L’augmentation des coûts est en train de ralentir. Geler le financement revient à décider de ne pas vaincre certaines maladies et de stopper des interventions médicales qui, pourtant, améliorent grandement le bien-être et la qualité de vie des Suisse·sse·s.

À long terme, quels sont les problèmes qui guettent la Suisse si l’initiative est acceptée?

L’Angleterre ainsi que d’autres pays qui ont appliqué un frein aux coûts tel que le projette l’initiative connaissent des listes d’attente, une médecine à deux vitesses, de graves pénuries. Le frein aux coûts aura pour effet qu’à partir d’un certain temps, seules les personnes ayant une assurance complémentaire seront soignées. De graves problèmes sociaux que la Suisse ne devrait jamais connaître.

Quel regard portez-vous sur la situation des établissements de soins à l’heure actuelle?

Aujourd’hui, les médecins, pédiatres et hôpitaux sont de plus en plus nombreux à connaître des difficultés financières. La moitié des hôpitaux et des cliniques du pays lutte déjà avec des problèmes de liquidités. Ce n’est pas digne de la Suisse. Cela absorbe une énergie folle que nous devrions pouvoir mettre ailleurs, comme dans la digitalisation ou le développement du secteur ambulatoire.

Ce qu’il faut faire urgemment pour assurer la pérennité du système, c’est corriger les tarifs vers le haut, pour éviter que toute une série d’hôpitaux ne soient déclarés en faillite.

Pourtant, la politique évoque sans cesse l’explosion des coûts…

Depuis les années septante, je déplore effectivement que le débat se focalise uniquement sur les aspects financiers. On ne parle jamais de la chance, des incroyables ressources, du pouvoir économique, de l’attractivité que connait pourtant notre système de santé. Je suis persuadé que les entreprises internationales qui choisissent de s’établir en Suisse le font aussi pour cet élément clé. Il faut soutenir les personnes qui ne parviennent plus à payer leurs primes d’assurance maladie. Mais l’augmentation des coûts est un faux débat.

Les Verts prônent un changement de paradigme. Partagez-vous cette opinion?

Totalement. Aujourd’hui, les réformes essaient sans succès de résoudre un problème qui n’en est pas un. Si l’on percevait le système de santé comme une grande chance pour notre pays, nous trouverions des solutions viables, comme une révision des tarifs hospitaliers.

Les tarifs actuels font effectivement perdre des millions aux hôpitaux.

C’est une absurdité qu’au niveau stationnaire nous soyons proches de la couverture des coûts alors qu’en ambulatoire, les tarifs sont loin de couvrir les frais. Les hôpitaux peuvent certainement devenir encore plus efficaces, notamment en investissant dans des centres ambulatoires. Si on nous donnait des tarifs qui couvraient les coûts, l’ensemble des structures aurait un intérêt beaucoup plus marqué pour l’ambulatoire.

Aujourd’hui, le Groupe Insel perd des dizaines de millions de francs par an au niveau ambulatoire à lui seul. En tant que président du Groupe, en me basant uniquement sur les chiffres, je devrais limiter au maximum les interventions ambulatoires, ce qui est un non-sens absolu.

Comment devrait-on s’y prendre pour favoriser l’ambulatoire?

Pour que ce virage vers l’ambulatoire soit effectif, l’EFAS ne suffit de loin pas. Il faut aussi que les établissements puissent s’adapter, investir pour créer des structures adéquates, mettre en place des processus. Pour ce faire, les tarifs ambulatoires doivent augmenter et la politique doit soutenir ce changement. Or, investir dans les soins est aujourd’hui tabou.

Vous appelez les instances fédérales et cantonales à prendre leurs responsabilités?

Les cantons et la Confédération doivent davantage s’engager aux côtés des hôpitaux, effectivement. Tout le paysage politique suisse se focalise uniquement sur les coûts et ignore le désespoir des prestataires de soins, des médecins, des hôpitaux. À la place de nos dirigeant·e·s, je militerais pour que l’on investisse dans ce domaine. La Suisse pourrait davantage apporter son savoir au développement de la santé mondiale.

Selon vous, quelle autre piste faudrait-il explorer?

Aujourd’hui, je suis pour la caisse unique. De prime abord, je n’étais pas pour. Mais d’assister à l’absurdité du combat entre les assureurs pour gagner des client·e·s me dépasse. Les caisses n’ont aucun intérêt à faire de la prévention, contrairement à la Suva par exemple. L’assurance accident a un intérêt existentiel à faire de la prévention, chaque accident évité est un·e assuré·e de moins à couvrir. Si l’on avait une caisse unique, elle aurait elle aussi ce même intérêt à la prévention pour maintenir ses dépenses.

Quelle est votre vision des soins hospitaliers de demain?

Les cas stationnaires seront de plus en plus complexes, les centres universitaires se focaliseront sur ces derniers, très spécialisés. Tous les hôpitaux, y compris les hôpitaux universitaires, vont opérer un virage marqué vers l’ambulatoire. Cela donne une grande chance aux hôpitaux de se placer au sein d’un réseau, d’accentuer les liens avec les autres acteurs du système. Dans le futur, il faut que la coordination et la collaboration soient renforcées. De plus, avec les outils créés par la digitalisation, on pourra de plus en plus surveiller l’état de santé d’un·e patient·e à distance, prédire les risques éventuels. Cela permettra aux personnes concernées de se rendre bien moins souvent à l’hôpital.

Aujourd’hui, à lui seul, le Groupe Insel perd des dizaines de millions de francs par an au niveau ambulatoire (Photo: Groupe Insel).

   

Suivez les actualités avec notre Newsletter.