Ce qu’elle propose, sur le fond, est très problématique. Si l’on avait appliqué cela auparavant, on aurait gelé nos avancées médicales. De plus, l’initiative manque sa cible: le problème n’est pas l’explosion des coûts, mais l’approvisionnement de la Suisse en termes de prestations médicales. Cette initiative crée des problèmes plutôt que d’en résoudre.
À court terme, si l’on se retrouve face à une crise économique ou sanitaire, comme celle traversée lors du COVID, les salaires ne vont pas augmenter et les prestations médicales seront donc réduites. De plus, le vieillissement de la population et les progrès médicaux n’ont pas de corrélation avec l’évolution des salaires. La FMH a calculé que si l’on avait introduit cette initiative en l’an 2000, 37% de nos prestations médicales ne seraient plus réalisées en 2024. L’argent pour trouver de nouvelles façons de guérir le cancer ou les accidents cardiovasculaires par exemple aurait fait défaut. Les hôpitaux auraient été contraints de réduire drastiquement leur personnel.
Tout à fait. Si une société s’enrichit, elle investit dans la santé. En Suisse, 11% du PIB est actuellement investi dans notre système de santé. La crainte des initiant·e·s est de penser que dans une centaine d’années, 100% du PIB soit consacré aux soins. Or, ce raisonnement est totalement erroné et absurde. L’augmentation des coûts est en train de ralentir. Geler le financement revient à décider de ne pas vaincre certaines maladies et de stopper des interventions médicales qui, pourtant, améliorent grandement le bien-être et la qualité de vie des Suisse·sse·s.
L’Angleterre ainsi que d’autres pays qui ont appliqué un frein aux coûts tel que le projette l’initiative connaissent des listes d’attente, une médecine à deux vitesses, de graves pénuries. Le frein aux coûts aura pour effet qu’à partir d’un certain temps, seules les personnes ayant une assurance complémentaire seront soignées. De graves problèmes sociaux que la Suisse ne devrait jamais connaître.
Aujourd’hui, les médecins, pédiatres et hôpitaux sont de plus en plus nombreux à connaître des difficultés financières. La moitié des hôpitaux et des cliniques du pays lutte déjà avec des problèmes de liquidités. Ce n’est pas digne de la Suisse. Cela absorbe une énergie folle que nous devrions pouvoir mettre ailleurs, comme dans la digitalisation ou le développement du secteur ambulatoire.
Depuis les années septante, je déplore effectivement que le débat se focalise uniquement sur les aspects financiers. On ne parle jamais de la chance, des incroyables ressources, du pouvoir économique, de l’attractivité que connait pourtant notre système de santé. Je suis persuadé que les entreprises internationales qui choisissent de s’établir en Suisse le font aussi pour cet élément clé. Il faut soutenir les personnes qui ne parviennent plus à payer leurs primes d’assurance maladie. Mais l’augmentation des coûts est un faux débat.
Totalement. Aujourd’hui, les réformes essaient sans succès de résoudre un problème qui n’en est pas un. Si l’on percevait le système de santé comme une grande chance pour notre pays, nous trouverions des solutions viables, comme une révision des tarifs hospitaliers.
C’est une absurdité qu’au niveau stationnaire nous soyons proches de la couverture des coûts alors qu’en ambulatoire, les tarifs sont loin de couvrir les frais. Les hôpitaux peuvent certainement devenir encore plus efficaces, notamment en investissant dans des centres ambulatoires. Si on nous donnait des tarifs qui couvraient les coûts, l’ensemble des structures aurait un intérêt beaucoup plus marqué pour l’ambulatoire.
Pour que ce virage vers l’ambulatoire soit effectif, l’EFAS ne suffit de loin pas. Il faut aussi que les établissements puissent s’adapter, investir pour créer des structures adéquates, mettre en place des processus. Pour ce faire, les tarifs ambulatoires doivent augmenter et la politique doit soutenir ce changement. Or, investir dans les soins est aujourd’hui tabou.
Les cantons et la Confédération doivent davantage s’engager aux côtés des hôpitaux, effectivement. Tout le paysage politique suisse se focalise uniquement sur les coûts et ignore le désespoir des prestataires de soins, des médecins, des hôpitaux. À la place de nos dirigeant·e·s, je militerais pour que l’on investisse dans ce domaine. La Suisse pourrait davantage apporter son savoir au développement de la santé mondiale.
Aujourd’hui, je suis pour la caisse unique. De prime abord, je n’étais pas pour. Mais d’assister à l’absurdité du combat entre les assureurs pour gagner des client·e·s me dépasse. Les caisses n’ont aucun intérêt à faire de la prévention, contrairement à la Suva par exemple. L’assurance accident a un intérêt existentiel à faire de la prévention, chaque accident évité est un·e assuré·e de moins à couvrir. Si l’on avait une caisse unique, elle aurait elle aussi ce même intérêt à la prévention pour maintenir ses dépenses.
Les cas stationnaires seront de plus en plus complexes, les centres universitaires se focaliseront sur ces derniers, très spécialisés. Tous les hôpitaux, y compris les hôpitaux universitaires, vont opérer un virage marqué vers l’ambulatoire. Cela donne une grande chance aux hôpitaux de se placer au sein d’un réseau, d’accentuer les liens avec les autres acteurs du système. Dans le futur, il faut que la coordination et la collaboration soient renforcées. De plus, avec les outils créés par la digitalisation, on pourra de plus en plus surveiller l’état de santé d’un·e patient·e à distance, prédire les risques éventuels. Cela permettra aux personnes concernées de se rendre bien moins souvent à l’hôpital.
Aujourd’hui, à lui seul, le Groupe Insel perd des dizaines de millions de francs par an au niveau ambulatoire (Photo: Groupe Insel).