architecture thérapeutique raphael boscarato
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2. avril 2024

Automatisation des bâtiments

Interview

Architecture thérapeutique: lorsque le bâtiment «guérit»

Et si un édifice pouvait contribuer à soigner les patient·e·s? Raphaël Boscarato, architecte EPFL, nous livre les grands principes de l’architecture thérapeutique.
Competence Muriel Chavaillaz

auteur

Muriel Chavaillaz

Journaliste de Competence pour la Suisse romande et le Tessin

muriel.chavaillaz@hplus.ch

Comment définiriez-vous l’architecture thérapeutique?

L’expression a été créée dans les années 1980, il s’agit d’une discipline spécifique de l’environnement thérapeutique qui examine l’influence du milieu architectural sur le processus de guérison et de rétablissement des patient·e·s. Ce concept a pour origine une étude publiée en 1984 par Roger Ulrich.

Vous êtes expert dans ce domaine. Qu’est ce qui vous fascine personnellement dans ce dernier?

J’apprécie que l’architecture thérapeutique reconnaisse le lien étroit entre l’environnement physique et le bien-être mental. Cette approche affirme que notre environnement peut avoir un impact significatif sur notre humeur, notre stress et notre santé. Elle fait ressortir l’importance du rôle de l’architecte, qui n’est pas uniquement de concevoir un abri, mais aussi de créer un substrat qui rassure, un espace contenant qui entoure le côté psychique de l’usager. Un habitat étant une réponse concrète et efficace à l’expérience de l’individu, voire de la société. Cette architecture soutient un dispositif spatial permettant de la rendre plus humaine. Cela revient à dire que l’architecture doit être habitable tant émotionnellement et spirituellement que physiquement.

«L’artchitecture thérapeutique reconnaît le lien entre environnement physique et bien-être mental», souligne l’artchitecte Raphaël Boscarato (crédit photo: DR).

Comment expliquez-vous qu’un bâtiment puisse contribuer à la guérison des patient·e·s?

Je tiens à souligner que l’architecture elle-même ne doit pas être considérée comme la source de guérison mais plutôt comme un support. Pour comprendre le rôle de ce support, partons d’une notion connue: le stress. L’endocrinologue Hans Selyes définit le stress comme la réponse de l’organisme aux contraintes physiques et mentales que notre environnement nous impose. Il survient lorsqu’il y a un déséquilibre entre les exigences environnementales et les ressources de l’individu.

La phase initiale d’une réaction de stress est une réaction d’alarme. On signale à l’organisme de réduire le système immunitaire afin de parer au danger immédiat. Ainsi, une exposition prolongée au stress se traduit par une capacité réduite de l’organisme à lutter contre les maladies, les infections et les maladies mentales telles que la dépression.

Mais le corps peut aussi réagir par une réponse positive au stress avec un ensemble de stratégies d’adaptation saines. Cela permet d’éviter les réactions automatiques et les stratégies d’adaptation inadéquates. Or, un élément qui l’aide est son environnement. Ainsi, l’exigence de considérer l’individu comme la principale référence pour la définition et composition d’un espace envisagé comme «habitable» est l’un des facteurs qui doit motiver l’architecte.

L’hôpital est souvent associé au stress chez les patient·e·s. L’architecture thérapeutique est-elle un moyen de modifier cette perception?

L’association de l’hôpital au stress chez les patient·e·s est compréhensible, car les visites hospitalières sont souvent associées à des moments de maladie, de douleur et d’incertitude. Cependant, l’architecture thérapeutique offre un moyen de transformer cet a priori négatif. En 1988, Gary W. Evans et Janetta Mitchell McCoy ont décomposé l’architecture thérapeutique en cinq paramètres: la Stimulation, la Cohérence, l’Affordance, le Contrôle et la Restauration.

La concrétisation de ces paramètres englobe l’utilisation de la lumière naturelle, des espaces verts, des couleurs douces, des matériaux naturels, ainsi que la clarté et la lisibilité de la configuration spatiale.

Par exemple, une étude menée par le Dr S. Ulrich a examiné l’effet de la vue depuis la fenêtre d’une chambre d’hôpital sur le rétablissement des patient·e·s après une opération de la vésicule biliaire. Les résultats ont montré que celles et ceux ayant une vue sur un parc vert se rétablissaient plus vite, avaient un meilleur comportement et nécessitaient moins d’analgésiques que celles et ceux ayant une vue sur un mur de briques.

Pourriez-vous nous parler d’un établissement modèle en termes d’architecture thérapeutique?

Je pense aux Maggie’s Centers, des centres conçus pour fournir un soutien pratique, émotionnel et social aux personnes atteintes de cancer ainsi qu’à leurs proches. Celui de Barcelone, de par sa typologie en éventail, tourne le dos à l’hôpital institutionnel et permet une flexibilité fonctionnelle avec des espaces adaptables, offrant des vues spécifiques sur le jardin et la végétation environnante. De plus, le choix varié du mobilier démontre le caractère domestique du lieu, qui peut rappeler son «chez-soi» à la·au patient·e.

Photo de titre: Dans ce centre Maggie’s à Barcelone, l’architecture a été pensée pour contribuer au confort physique et mental des personnes souffrant d’un cancer (Crédit photo: Lluc Miralles pour Plataforma Arquitectura).