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13. février 2024

RHNe

Interview

Partager un poste pour mieux concilier vie pro et vie perso

Radiologue de profession, la Dre Emilie Paulin Nicodème partage la fonction de directrice médicale avec le Dr Olivier Plachta depuis le 1er mai 2023. Retour sur cette organisation managériale inédite.
Competence Muriel Chavaillaz

auteur

Muriel Chavaillaz

Journaliste de Competence pour la Suisse romande et le Tessin

muriel.chavaillaz@hplus.ch

Pourquoi avoir décidé de partager le poste de directeur∙trices médical∙e entre deux personnes, alors qu’auparavant, le Dr Plachta occupait seul cette fonction?

C’était une décision commune. J’étais directrice médicale adjointe, on travaillait déjà ensemble sur un certain nombre de dossiers. Il n’était pas forcément évident de concilier les contraintes de ce poste avec celui que j’occupais également en tant que cheffe de département de l’imagerie. Trouver un équilibre entre le cumul de fonctions professionnelles et ma vie familiale était devenu difficile pour ma part. En le verbalisant, cela a fait écho chez mon collègue, qui vivait la même situation. En partageant ce constat, nous avons esquissé cette solution de partage de poste, qui nous permettait à tous les deux de répondre à nos ambitions et engagements professionnels tout en ayant l’espoir d’accéder à un meilleur équilibre entre vie privée et professionnelle.

Cela fait désormais 9 mois que le partage de poste est effectif. Cette mission est-elle un succès?

Oui, en partie. Nous sommes tous les deux convaincus qu’un partage de poste, pour autant que les deux personnes s’entendent, offre une complémentarité des qualités, des compétences, des expériences, qui est un véritable atout sur des postes de direction.

Professionnellement, cela permet de se développer en s’appuyant sur les compétences de son partenaire.

Toutefois, l’aspect vie privée est plus compliqué. On a volontairement choisi de rester à des pourcentages élevés le temps de la transition, sans repourvoir le poste d’adjoint, avec comme objectif de diminuer progressivement. Mais au regard de la situation hospitalière actuelle, je crains malheureusement que cela soit compliqué. Nous allons devoir allonger cette période, afin de pouvoir avancer sur certains dossiers structurants. Cependant, nous ne reviendrions pas en arrière pour autant, tant ce choix nous satisfait au niveau professionnel.

Pour quelles raisons votre duo fonctionne-t-il particulièrement bien?

Je pense qu’il y a plusieurs facteurs. D’un point de vue humain, nous sommes de la même génération, avons des environnements familiaux similaires et, de ce fait, une compréhension pour le vécu de l’un comme de l’autre. Nous avons aussi la chance de partager des valeurs communes par rapport à notre perception de la direction médicale et de nos objectifs. Enfin, nous avons l’avantage d’avoir eu des parcours très différents: alors que j’ai été formée sur le terrain, le Dr Plachta a toujours été actif dans la gestion hospitalière. Lorsqu’on associe ces deux visions, cela donne un binôme très complémentaire.

Comment maintenez-vous ce lien avec le terrain?

J’ai gardé une activité clinique, à hauteur de 20%. J’exerce ainsi toujours en tant que docteure en radiologie, ma formation de base. Je souhaitais conserver mes compétences dans ce domaine.

J’ai choisi cette activité, elle me plaît: j’apprécie toujours autant ce côté, le fait de pouvoir participer à la prise en charge des patient∙e∙s. Pour l’heure, je ne suis pas prête à tourner cette page.

Vous considérez-vous comme égaux, le Dr Plachta et vous?

Je ne crois pas qu’il y ait d’égalité. Je pense qu’on a des tempéraments et des positions qui restent différents, ce qui n’empêche pas d’assumer le même niveau de responsabilité. Mais il serait erroné de penser que l’on serait interchangeable. J’ai la certitude que cela reste une force, mais dans le regard que les gens ont sur nous, ça n’est pas encore un partage 50/50. Nous y travaillons.

Travailler à temps partiel, est-ce une solution d’avenir?

On vit dans un environnement sociétal qui nous donne de multiples objectifs, tant professionnels que personnels. Avec cette pression multidirectionnelle, il faut trouver le temps, faire des choix. La multiplication des rôles fait du temps partiel un prérequis quasi nécessaire pour l’épanouissement personnel de chacun∙e. Le modèle a vraiment beaucoup évolué. D’un point de vue médical, le rôle du médecin qui ne compte pas ses heures et passe sa vie à l’hôpital n’est plus prépondérant.

Je crois que maintenant, la nouvelle génération a, plus encore qu’avant, le souhait de pouvoir s’accomplir sur différents plans. Cela nécessite des temps partiels.

Y a-t-il tout de même des désavantages à ce partage de poste?

Dans mon expérience, je dirais qu’il n’est pas évident de trouver du temps pour s’aligner dans des fonctions qui demandent autant de temps de travail et d’implication. Or, nous partageons une fonction et, de ce fait, nos interlocuteurs∙trices doivent pouvoir s’adresser autant à l’un qu’à l’autre. Avoir le même niveau de connaissance sur tous les dossiers nécessite du temps de partage qui est difficile à trouver. La deuxième difficulté réside dans cette nette asymétrie de profil, cela est souvent un avantage mais peut aussi être perçu comme un inconvénient et peut parfois créer certaines incompréhensions. Par chance, cela reste plutôt rare.

Devez-vous également trouver de l’énergie pour vous convaincre l’un l’autre?

Etonnamment, nous sommes, la plupart du temps, alignés sur l’objectif. Par contre, rarement sur comment y arriver (sourire). C’est là que la discussion devient intéressante. J’ai la chance de travailler avec quelqu’un qui sait changer d’avis, qui sait reconnaître les autres visions que la sienne. J’espère avoir cette même qualité. Il y a un certain nombre de sujets que je n’aurais certainement pas traité de la même manière si j’avais été seule à ce poste.

Justement, cela vous arrive de vous dire «si seulement j’étais seule à ce poste»?

Oui, ça m’arrive. Mais très vite je réalise que je n’occuperais pas cette fonction si j’étais seule. Ce serait incompatible avec mon souhait d’équilibre. Tout l’intérêt de ce mode de fonctionnement réside dans le fait de pouvoir partager le poids des responsabilités, des décisions, de pouvoir s’orienter dans des arbitrages lourds qui ont des conséquences pour le fonctionnement global de l’hôpital.

En ayant connu ce partage, ce serait très difficile de revenir à une version individualiste du poste.

Quel message aimeriez-vous faire passer à un établissement qui hésiterait à mettre en place un partage de poste?

Il y a deux manières de voir les choses. Soit on reste dans un fonctionnement aguerri dans lequel les individus peuvent s’essouffler, soit on choisit le risque d’une vision plus moderne, plus adaptée aux contraintes de la société actuelle et qui peut offrir l’opportunité d’un meilleur équilibre et d’un développement des compétences personnelles. Pour moi, en termes d’attractivité, cela fait partie de l’arsenal de nouveaux outils qu’il faudra développer dans les années à venir. C’est certainement un peu plus coûteux en termes de ressources, car il y a un temps d’alignement incompressible entre certains postes, de même que la charge administrative, qui n’est pas au pro-rata du temps de travail. Les modèles flexibles sont clairement une solution d’avenir: autant s’y mettre dès à présent.

Photo de titre: Portrait de la Dre Emilie Paulin Nicodème, directrice médicale (crédit photo: RHNe).