
J’ai été très bien accueillie, avec, bien sûr, une pile de dossiers urgents et de nombreuses attentes. Mais c’est plutôt un bon signe: cela montre une envie partagée de faire avancer les choses. Même si je connaissais déjà bien le monde hospitalier, je consacre aussi du temps à une nécessaire phase d’apprentissage propre à un hôpital universitaire, d’une taille et d’une complexité uniques.
Oui, on assiste clairement à un phénomène partagé dans toute la Suisse romande. Historiquement, les hôpitaux ont bénéficié de soutiens importants de la part des cantons; aujourd’hui, les contraintes budgétaires se resserrent. Cela crée cette impression de crise: il faut faire des économies tout en maintenant, voire en augmentant, les missions. On nous demande d’être plus performants, sans augmenter les ressources. Les injonctions sont souvent contradictoires: répondre à tous les besoins, assurer la qualité, préserver l’attractivité des métiers, tout en allégeant les coûts… C’est un exercice d’équilibriste permanent.
Il faut savoir prioriser, garder la tête hors de l’eau pour conserver une vision d’ensemble. Et surtout, être bien entourée. Je m’appuie beaucoup sur la confiance des équipes médicales et soignantes: elles font remonter les réalités du terrain, ce qui est essentiel. Diriger un hôpital comme le CHUV, c’est un peu comme gérer une immense table de mixage: il faut constamment ajuster les curseurs entre des intérêts multiples et parfois divergents.

Je crois à un leadership de proximité et de sens. On ne peut plus diriger «d’en haut» en pensant que les décisions descendront naturellement dans la hiérarchie. Les équipes attendent de la cohérence, de l’écoute, de la clarté dans les priorités. Il faut donc être capable d’expliquer le pourquoi des décisions, de partager la vision, mais aussi de reconnaître quand quelque chose ne fonctionne pas.
C’est un enjeu majeur. Le CHUV est à la fois un hôpital universitaire et un hôpital de ville. Il faut pouvoir accueillir aussi bien la personne âgée décompensée que le patient atteint d’une maladie rare. Et tout en assurant la formation et la recherche, pour nous et pour les autres hôpitaux. L’efficience, souvent vécue comme un gros mot, peut aussi signifier «mieux travailler». Si on simplifie les processus, qu’on réduit les temps d’attente, qu’on clarifie les responsabilités, on améliore la prise en charge sans perdre notre mission de service public.
C’est une réalité particulière, c’est vrai. Notre stratégie et nos investissements sont validés par les autorités politiques, pas par un conseil d’administration. La direction se retrouve «au milieu du sablier», entre les 13000 collaborateur·trice·s et le sommet politique. Ce n’est pas tant une pression qu’un exercice de dialogue: il faut intégrer toutes les parties prenantes et trouver le bon équilibre entre leurs attentes, tout en gardant la qualité et la mission comme boussole.
Parce qu’on ne peut pas diriger sans connaître. J’ai souhaité rencontrer les équipes, voir les locaux, comprendre leurs réalités. Ce n’est pas une question d’image, mais de compréhension. Cela permet aussi d’être plus juste dans les décisions. Je mange régulièrement dans les cafétérias du CHUV, je discute avec les soignant·e·s qui le souhaitent: c’est une autre manière d’être disponible. Et parfois, cela aide à désamorcer des tensions avant qu’elles ne deviennent des problèmes.
C’est une vigilance constante. J’essaie de couper pendant les vacances, de passer du temps avec mes enfants, même si c’est parfois entre deux réunions ou après qu’ils ont attendu la fin de mes séances dans la salle d’attente de mon bureau en faisant leurs devoirs (rires).

Personnellement, je n’ai jamais vécu cela comme une barrière. Je n’ai pas été empêchée ni freinée. Mais je mesure que c’est un enjeu, notamment pour les jeunes générations, et je veille à en tenir compte. Je veux surtout montrer qu’on peut occuper des fonctions à responsabilité tout en ayant une vie de famille. Mon agenda comporte des moments réservés à mes enfants, comme il comporte des séances tardives. C’est une autre manière de concevoir le leadership: plus souple, plus humain.
Des beaux projets! Qu’ils soient petits ou grands, chaque projet qui améliore la qualité des soins ou le quotidien des équipes est une réussite. Et puis, il faut aussi préparer l’avenir: la prochaine stratégie du CHUV, qui s’étendra jusqu’en 2032, se dessine déjà aujourd’hui. On travaille dans le présent, mais en gardant toujours une vision à dix ans.
Crédit photo: Alicia Voumard