Claire Charmet DG CHUV Lausanne
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2. décembre 2025

Leadership en crise?

Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV)

Claire Charmet: recherche d’équilibre entre injonctions contradictoires

Directrice générale du CHUV, Claire Charmet conduit une institution de 13 000 collaborateur·trice·s dans un contexte de fortes pressions budgétaires et organisationnelles. Elle évoque les défis d’un poste exposé, le sens du service public et la nécessité, pour un·e leader, de rester proche du terrain.
Competence Muriel Chavaillaz

auteur

Muriel Chavaillaz

Journaliste de Competence pour la Suisse romande et le Tessin

muriel.chavaillaz@hplus.ch

Vous êtes entrée en fonction le 1er juin. Comment s’est déroulé ce début de mandat?

J’ai été très bien accueillie, avec, bien sûr, une pile de dossiers urgents et de nombreuses attentes. Mais c’est plutôt un bon signe: cela montre une envie partagée de faire avancer les choses. Même si je connaissais déjà bien le monde hospitalier, je consacre aussi du temps à une nécessaire phase d’apprentissage propre à un hôpital universitaire, d’une taille et d’une complexité uniques.

Le CHUV, c’est une petite ville, avec ses cultures, ses habitudes, ses dynamiques internes. Il faut prendre le temps de comprendre avant d’agir.

Le poste de directrice d’un grand hôpital semble particulièrement sous tension ces dernières années. Partagez-vous ce constat?

Oui, on assiste clairement à un phénomène partagé dans toute la Suisse romande. Historiquement, les hôpitaux ont bénéficié de soutiens importants de la part des cantons; aujourd’hui, les contraintes budgétaires se resserrent. Cela crée cette impression de crise: il faut faire des économies tout en maintenant, voire en augmentant, les missions. On nous demande d’être plus performants, sans augmenter les ressources. Les injonctions sont souvent contradictoires: répondre à tous les besoins, assurer la qualité, préserver l’attractivité des métiers, tout en allégeant les coûts… C’est un exercice d’équilibriste permanent.

Comment parvient-on à tenir dans ce contexte?

Il faut savoir prioriser, garder la tête hors de l’eau pour conserver une vision d’ensemble. Et surtout, être bien entourée. Je m’appuie beaucoup sur la confiance des équipes médicales et soignantes: elles font remonter les réalités du terrain, ce qui est essentiel. Diriger un hôpital comme le CHUV, c’est un peu comme gérer une immense table de mixage: il faut constamment ajuster les curseurs entre des intérêts multiples et parfois divergents.

Avant de diriger le CHUV, Claire Charmet était à la tête du site hospitalier de La Chaux-de-Fonds et présidait le collège des directions du Réseau hospitalier neuchâtelois (crédit photo: Alicia Voumard).

Le management hospitalier a beaucoup évolué. Comment définiriez-vous votre approche du leadership?

Je crois à un leadership de proximité et de sens. On ne peut plus diriger «d’en haut» en pensant que les décisions descendront naturellement dans la hiérarchie. Les équipes attendent de la cohérence, de l’écoute, de la clarté dans les priorités. Il faut donc être capable d’expliquer le pourquoi des décisions, de partager la vision, mais aussi de reconnaître quand quelque chose ne fonctionne pas.

Dans un hôpital, le leadership doit être collectif: la directrice seule ne peut rien sans l’engagement des soignant·e·s, des médecins, du personnel administratif, de la logistique, de la recherche, etc.

Vous insistez sur le sens du service public. Est-il de plus en plus difficile à préserver?

C’est un enjeu majeur. Le CHUV est à la fois un hôpital universitaire et un hôpital de ville. Il faut pouvoir accueillir aussi bien la personne âgée décompensée que le patient atteint d’une maladie rare. Et tout en assurant la formation et la recherche, pour nous et pour les autres hôpitaux. L’efficience, souvent vécue comme un gros mot, peut aussi signifier «mieux travailler». Si on simplifie les processus, qu’on réduit les temps d’attente, qu’on clarifie les responsabilités, on améliore la prise en charge sans perdre notre mission de service public.

Le CHUV est directement rattaché à l’État de Vaud. Cela renforce-t-il la pression politique?

C’est une réalité particulière, c’est vrai. Notre stratégie et nos investissements sont validés par les autorités politiques, pas par un conseil d’administration. La direction se retrouve «au milieu du sablier», entre les 13000 collaborateur·trice·s et le sommet politique. Ce n’est pas tant une pression qu’un exercice de dialogue: il faut intégrer toutes les parties prenantes et trouver le bon équilibre entre leurs attentes, tout en gardant la qualité et la mission comme boussole.

Vous avez choisi de visiter personnellement de nombreux services depuis votre arrivée. Pourquoi cette démarche?

Parce qu’on ne peut pas diriger sans connaître. J’ai souhaité rencontrer les équipes, voir les locaux, comprendre leurs réalités. Ce n’est pas une question d’image, mais de compréhension. Cela permet aussi d’être plus juste dans les décisions. Je mange régulièrement dans les cafétérias du CHUV, je discute avec les soignant·e·s qui le souhaitent: c’est une autre manière d’être disponible. Et parfois, cela aide à désamorcer des tensions avant qu’elles ne deviennent des problèmes.

Comment parvenez-vous à préserver votre équilibre personnel?

C’est une vigilance constante. J’essaie de couper pendant les vacances, de passer du temps avec mes enfants, même si c’est parfois entre deux réunions ou après qu’ils ont attendu la fin de mes séances dans la salle d’attente de mon bureau en faisant leurs devoirs (rires).

Il faut accepter qu’on ne puisse pas tout faire à la perfection: ni être toujours au travail, ni toujours présente à la maison. Tant que le travail est bien fait, il faut s’accorder le droit à la souplesse.

«Je veux montrer que l’on peut occuper des fonctions à responsabilité tout en ayant une vie de famille», confie Claire Charmet. (crédit photo: Alicia Voumard)

Le fait d’être une femme change-t-il quelque chose dans votre manière de diriger?

Personnellement, je n’ai jamais vécu cela comme une barrière. Je n’ai pas été empêchée ni freinée. Mais je mesure que c’est un enjeu, notamment pour les jeunes générations, et je veille à en tenir compte. Je veux surtout montrer qu’on peut occuper des fonctions à responsabilité tout en ayant une vie de famille. Mon agenda comporte des moments réservés à mes enfants, comme il comporte des séances tardives. C’est une autre manière de concevoir le leadership: plus souple, plus humain.

Qu’espérez-vous pour la suite de votre mandat?

Des beaux projets! Qu’ils soient petits ou grands, chaque projet qui améliore la qualité des soins ou le quotidien des équipes est une réussite. Et puis, il faut aussi préparer l’avenir: la prochaine stratégie du CHUV, qui s’étendra jusqu’en 2032, se dessine déjà aujourd’hui. On travaille dans le présent, mais en gardant toujours une vision à dix ans.

Crédit photo: Alicia Voumard

   

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