La crise de la psychiatrie? Pour Raffaella Diana, directrice du Centre Neuchâtelois de Psychiatrie (CNP), le mot n’est pas tout à fait juste. «C’est une crise du système de santé dans son ensemble, pas uniquement de la psychiatrie. Ce qui est intéressant, c’est que notre discipline sent souvent le changement avant les autres.» La psychiatrie agirait alors comme un révélateur dysfonctionnements plus globaux.
Longtemps perçue comme la réparation d’un organe défaillant, la médecine doit désormais composer avec une nouvelle définition de la santé: un état de bien-être physique, mental et social. «La majorité des maladies aujourd’hui sont chroniques. On ne les guérit pas, on apprend à vivre avec. Cela implique une subjectivité très forte: la·le patient·e définit ce qu’est une vie acceptable.»
«Le but n’est plus l’effacement des symptômes, mais une vie épanouie malgré eux.» Pour cela, un dialogue réel avec les patient·e·s-partenaires est primordial. «L’asymétrie traditionnelle entre soignant·e et patient·e n’a plus lieu d’être. Grâce à Internet, les gens s’informent, questionnent. Les professionnel·le·s doivent apprendre à construire avec elles et eux.»
Mais cette mutation se heurte à des structures figées. «Le système tarifaire suisse est conçu pour une médecine curative rapide et individuelle. Il ne valorise pas les co-thérapies, pourtant essentielles dans certains cas. Il n’intègre pas non plus les prises en charge pluridisciplinaires, souvent centrales en psychiatrie.» Le CNP compense ces lacunes en s’appuyant sur des prestations d’intérêt général (PIG), financées par le canton.
À Neuchâtel, nous avons la chance d’avoir établi un dialogue transparent et constructif avec le Service de la santé publique. Chaque prestation est analysée pour déterminer ce qui peut être financé par l’assurance de base et ce qui doit l’être par le canton.
Raffaella Diana, directrice du CNP
Cette approche pragmatique a permis au CNP d’initier un virage profond vers l’ambulatoire. «Nous avons développé des structures solides hors de l’hôpital. Cela nous a conduits à réduire le nombre de lits (aujourd’hui 102 pour 180 000 habitant·e·s) tout en maintenant un taux d’occupation maîtrisé.» Cette transformation du modèle psychiatrique a surtout été engagée en Suisse romande, ce qui peut surprendre dans d’autres régions du pays. «On interprète souvent cette différence comme un signe de crise, alors qu’en réalité, nous avons simplement pris de l’avance.»
Dans cette approche, l’hôpital ne traite plus que les crises aiguës. L’objectif est d’éviter l’hospitalisation autant que possible, car elle désocialise. «La relation sociale fait partie intégrante de la réponse thérapeutique. Nous travaillons souvent avec les proches pour identifier les signes avant-coureurs, et construire des plans de crise adaptés à chaque personne.» Le CNP collabore étroitement avec les institutions sociales du canton. «La santé mentale ne peut être pensée sans le social. Notre objectif est l’inclusion durable des patient·e·s dans la société.»
La transformation du modèle ne saurait se faire sans personnel. Or, la pénurie frappe de plein fouet. «C’est notre plus grand défi. Chez nous, entre 40 et 60 % du personnel clinique est d’origine étrangère. Sans elles et eux, le système ne tiendrait pas.» À Neuchâtel, les conditions de recrutement sont particulièrement difficiles. «La langue française doit être parfaitement maîtrisée pour travailler en psychiatrie. Et nous sommes proches de centres universitaires très attractifs comme Berne ou Lausanne.» La solution passe par la formation et la fidélisation. «Nous avons créé l’IFRSM, un institut de formation et de recherche appliquée en santé mentale; et repensé tous les parcours de carrières. Chacun·e peut évoluer selon ses aspirations, vers des postes de gestion ou des expertises pointues.»
Face à la hausse des troubles mentaux, notamment chez les jeunes, le CNP travaille à de nouveaux programmes (troubles du comportement alimentaire, autisme…). Ces pathologies nécessitent une coordination étroite entre les mondes scolaire, médical et social. «Il faut sortir des silos. Les parcours de soin doivent être intégrés, cohérents, pluridisciplinaires. Aujourd’hui, ce sont les patient·e·s qui portent cette charge de coordination. Ce n’est pas acceptable.»
«Beaucoup de cas peuvent être suivis en cabinet. Il ne faut pas engorger les structures publiques avec des patient·e·s qui peuvent être accompagné·e·s ailleurs.» Elle insiste toutefois sur la nécessité d’un maillage renforcé entre ces différents acteurs, pour garantir la continuité et l’accessibilité des soins.
La directrice du CNP se dit confiante pour la suite: «On assiste à une évolution positive des mentalités: la stigmatisation liée aux troubles psychiques recule, et les patient·e·s sont moins isolé·e·s socialement. Les gens parlent davantage de leur santé mentale, la comprennent mieux. Cela ne veut pas dire qu’il y a plus de maladies graves, mais que les troubles du quotidien tels que l’anxiété ou la dépression sont mieux identifiés.» Et de conclure: «Cette crise du système de santé est aussi une opportunité. Elle nous oblige à nous réinventer, à penser autrement.»
Photo de titre: Portrait de Raffaelle Diana, CNP (DR).