itinéraire clinique CHUV fracture du fémur proximal
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8. avril 2025

Focus Itinéraires cliniques

Département de l'appareil locomoteur

Itinéraire clinique: exemple pratique au CHUV

Depuis 2011, le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) a mis en place un itinéraire clinique de la fracture du fémur proximal. Deux médecins responsables de ce dernier reviennent pour nous sur cette expérience.
Competence Muriel Chavaillaz

auteur

Muriel Chavaillaz

Journaliste de Competence pour la Suisse romande et le Tessin

muriel.chavaillaz@hplus.ch

Pour quelles raisons avoir mis en place un itinéraire clinique pour traiter la fracture du fémur proximal?

La fracture du fémur proximal est une problématique qui touche principalement les personnes âgées, souvent fragiles. La fracture n’est donc qu’un élément d’un tableau clinique plus vaste où s’associent plusieurs autres syndromes gériatriques, comme la fragilité, les troubles de la marche et de l’équilibre, la dénutrition, les troubles neurocognitifs, la perte d’indépendance. Une fracture du fémur proximal peut donc entraîner des conséquences majeures pour une personne âgée.

Dr Marc Humbert, médecin cadre au Service de gériatrie et réadaptation gériatrique, CHUV.

Fort de ce constat et en se basant sur la littérature, c’est en 2009, que le département de l’appareil locomoteur du CHUV a décidé de créer un itinéraire clinique de la fracture du fémur proximal (ICFFP). Cet itinéraire porte sur l’entier de la prise en charge du patient, depuis les urgences jusqu’à la sortie de l’hôpital. L’idée était de créer un programme de soins multidisciplinaire et d’expliciter les interventions de chacun des acteurs pour garantir des prestations de qualité.

En plus des collègues de traumatologie, il a donc été décidé d’inclure aussi les urgences, la nutrition clinique (renutrition), le centre des maladies osseuses (traitement de l’ostéoporose et prévention des nouvelles fractures) ainsi que la gériatrie (dépistage des syndromes gériatriques, prévention de l’état confusionnel, aide à l’orientation). Après une phase pilote en 2010, l’itinéraire clinique de la fracture du fémur proximal est proposé au CHUV depuis 2011.

Quel bilan tirez-vous de cette expérience après 14 ans?

Le bilan est positif, car il a permis d’améliorer les prises en charge multidisciplinaires de ces patient·e·s fragiles avec de multiples comorbidités.

Cela a également permis de développer des synergies entre les services du CHUV (traumatologie, gériatrie, nutrition, maladies osseuses, urgences) et les divers corps de métiers (soins, médecins, physiothérapeutes, ergothérapeutes).

Dr Kevin Moerenhout, médecin cadre au Service d’orthopédie et traumatologie, CHUV.

Quels sont, selon vous, les principaux bénéfices de cet itinéraire en termes de qualité des soins?

Le dépistage systématique du risque d’état confusionnel et de la survenue de cette complication permet la mise en place de mesures de prévention non médicamenteuses, tant pré- que post-opératoire. L’évaluation systématique de l’état nutritionnel par l’équipe infirmière assure la mise en place de mesures nutritionnelles adaptées avec, au besoin, l’appui par de la nutrition clinique.

Du point de vue du gériatre, l’avantage de ce projet est de fournir une identification systématique et rapide des patient·e·s. Le suivi régulier par le binôme médico-infirmier permet, en plus d’améliorer les prises en charges, de transférer également des compétences «gériatriques» aux collègues de traumatologie.

Et finalement, du point de vue médical et des soins en chirurgie traumatologique, cela garantit un meilleur suivi de la·du patient·e dans sa globalité, allant plus loin que le «simple» traitement d’une fracture.

D’un point de vue économique et financier, quels enseignements peut-on tirer?

La standardisation a permis d’agir sur les éléments modifiables ayant un impact sur le temps pré-opératoire. L’analyse continue des indicateurs permet de mettre en place des mesures de correction. Les durées de séjour ont également été impactées favorablement par la mise en place de l’ICFFP.

Quels ont été les principaux défis ou résistances rencontrés lors de la mise en place de cet itinéraire, et comment ont-ils été surmontés ?

    Les aléas de la vie hospitalière et la fluctuation des ressources ont eu par moments un impact sur la capacité des divers intervenants à pouvoir maintenir leur activité sur le long terme. L’autre défi majeur a été le suivi des indicateurs par l’unité opérationnelle du département de l’appareil locomoteur qui n’ont pas failli à la tâche depuis 2010 et que nous tenons à remercier chaleureusement.

    Comment cet itinéraire clinique a-t-il évolué au fil du temps ? A-t-il nécessité des ajustements pour s’adapter aux nouvelles pratiques médicales ou aux contraintes budgétaires ?

      En 2019, nous avons pu mettre sur pied un flux accéléré des patients de l’itinéraire clinique de la fracture du fémur proximal vers le Centre universitaire de traitement et réadaptation Sylvana. Toutefois, l’arrivée de la pandémie mondiale de SARS CoV2 n’a pas permis de continuer sur cette lancée.

      Fort de plus de 10 ans d’expérience de l’ICFFP, et de l’étroite collaboration au sein de l’ICFFP entre le Dr Moerenhout, médecin associé du Service d’orthopédie et de traumatologie et le Dr Humbert, médecin associé dans le Service de gériatrie et réadaptation gériatrique, nous avons finalement décidé d’aller une étape plus loin et de créer une unité d’orthogériatrie qui a vu le jour au CHUV en 2022.

      Elle accueille les patients de plus de 75 ans avec une fracture du fémur proximal qui sont hospitalisés dans le Service d’orthopédie et de traumatologie. Lors de son passage sous responsabilité médicale gériatrique, le patient reste dans le même lit avec la même équipe soignante et médico-thérapeutique. Grâce au financement des DRG de réadaptation gériatrique aiguë, il a été possible d’obtenir des ressources de thérapeutes supplémentaires (physiothérapeutes, ergothérapeutes, diététiciens, psychologue).

      D’autres institutions vous ont-elles sollicité pour s’inspirer de votre modèle? Existe-t-il des recommandations ou des bonnes pratiques généralisables à d’autres contextes hospitaliers?

        Des médecins de différents hôpitaux périphériques ont participé au Symposium sur l’orthogériatrie pour implémenter le modèle de l’ICFFP ainsi que la collaboration entre orthopédiste et gériatre dans leurs hôpitaux. Les collègues des HUG sont quant à eux venus voir l’unité d’orthogériatrie du CHUV. Nous participons également aux Swiss Orthogeriatrics Days avec les collègues de Suisse alémanique.

        Les itinéraires cliniques peuvent-ils être un levier pour concilier qualité des soins et maîtrise des coûts?

        La qualité des soins doit être mise en avant dans tous les cas. Si un itinéraire clinique tel que celui du fémur proximal peut en parallèle contribuer à diminuer les coûts de la santé, vu la constante augmentation de ces derniers, c’est bien sûr un élément qui intéressera tout le monde. Dans certains pays, notamment ceux du Royaume-Uni, ces itinéraires poussent les hôpitaux à opérer les patient·e·s âgé·e·s présentant une fracture du fémur proximal dans des délais impartis, sans quoi des sanctions financières (tel que diminution des DRG) peuvent être appliquées.

        Photo de titre: Séance de réadaptation d’un patient avec une physiothérapeute (Crédit photo: CHUV 2020 | Jeanne Martel).

           

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