Reconnu pour sa qualité, le système de santé suisse traverse une période critique face à des défis structurels, humains et technologiques. Les expert∙e∙s, réuni∙e∙s autour de ces problématiques lors du congrès annuel de la Fédération suisse des directrices et directeurs d’Hôpitaux, proposent des pistes d’action pour assurer la pérennité des soins dans un contexte marqué par des pénuries de personnel et de ressources.
En Suisse romande, la baisse des effectifs soignants observée en 2023-2024 est alarmante. Selon Lara de Preux-Allet, directrice de la Haute école de Santé (HES-SO Valais), un tiers des soignants quitteront la profession avant 2035, souvent avant 35 ans.
«Les solutions passent par la valorisation des professions soignantes, au-delà des simples rémunérations, explique la spécialiste. Il s’agit d’offrir des perspectives claires, une reconnaissance des compétences et des opportunités de formation continue attractives.» Des initiatives, comme les stages adaptés pour personnes en reconversion ou ayant des contraintes familiales, ont déjà été mises en place. Le Valais, avec sa Task Force cantonale, illustre bien l’approche collaborative nécessaire pour former et retenir les talents.
Marcel Unterasinger Stäger, responsable RH au Centre suisse des paraplégiques de Nottwil, partage son expérience du recrutement international. Si ces initiatives, déployées notamment en Tunisie et en Allemagne, permettent de combler une partie du manque de personnel, elles impliquent des défis culturels, linguistiques et administratifs importants. «Une intégration réussie nécessite un suivi quotidien des nouvelles personnes qui arrivent», souligne-t-il. Malgré un bilan encourageant (cinq personnes ont été recrutées en un an, dix de plus sont espérées grâce à une coordination avec l’Italie), la rétention à long terme reste une préoccupation majeure.
Dans un contexte de digitalisation croissante, les hôpitaux sont des cibles privilégiées des cyberattaques. Paul Such, fondateur de Hacknowledge, met en garde contre la multiplication des incidents et le manque de spécialistes en cybersécurité. La formation des équipes et l’utilisation de bonnes pratiques, comme les mots de passe robustes et l’authentification à deux facteurs, sont indispensables.
Cependant, la cybersécurité repose également sur une vigilance collective : «La question n’est pas de savoir si un établissement sera attaqué, mais quand, avertit l’expert. Dans un hôpital comme dans n’importe quelle entreprise, Il est nécessaire de re-responsabiliser les utilisateurs∙trices.»
Les ruptures d’approvisionnement en médicaments ont toujours existé. Mais depuis 10 ans, nous assistons à un tsunami dans ce secteur. Ces dernières ont très fortement augmenté.
Pr Pascal Bonnabry, pharmacien-chef aux HUG
Le problème des ruptures d’approvisionnement en médicaments est devenu systémique. Aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), deux à trois nouvelles pénuries sont constatées chaque jour, nécessitant une gestion rigoureuse et des ressources supplémentaires. Une plateforme mutualisée, testée actuellement aux HUG et prévue pour 2025, pourrait améliorer la coordination nationale.
Sébastien Marti, vice-président de la Société suisse des Pharmaciens, plaide pour une stratégie fédérale renforçant les réserves de médicaments critiques. Actuellement, 80 % des médicaments sont produits en Asie, une dépendance qui expose la Suisse à des risques majeurs.
Le sous-financement chronique des hôpitaux suisses s’ajoute aux défis liés aux infrastructures déclinantes. Stefan Stefaniak, membre du conseil d’administration du Centre hospitalier Bienne, prône une révision des priorités: réduire les durées de séjour, favoriser l’ambulatoire et développer des réseaux adaptés aux besoins réels de la population. «À Bienne, nous avons choisi de créer un site bien plus restreint en nombre de lits qu’il l’est actuellement, tout en investissant dans l’ambulatoire à la gare, en plein centre de la ville», explique le spécialiste.
Face à ces enjeux multiples, une approche collaborative s’impose. Que ce soit dans la formation, l’innovation technologique ou la planification stratégique, chaque acteur∙trice du système est appelé∙e à contribuer afin de construire un avenir durable pour les soins en Suisse.
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