L’implémentation de l’évaluation clinique infirmière de l’état mental (ECI-EM) est intégrée dans les plans stratégiques des directions des soins dans la plupart des institutions psychiatriques romandes. Cette pratique diminue de moitié les événements indésirables1. Elle met en avant également l’utilisation d’un vocabulaire commun qui permet de synthétiser les transmissions orales et écrites.
Dans le cadre du Certificate of Advanced Studies (CAS) en clinique infirmière en psychiatrie, chaque participant·e doit analyser son terrain de pratique clinique afin d’identifier les éléments qui favorisent ou au contraire freinent l’utilisation de l’ECI-EM. Dans un deuxième temps, les étudiant·e·s sont invité·e·s à co-constuire des pistes pour dépasser les obstacles repérés (facteurs entravants). Les résultats de leurs travaux offrent une vision romande holistique, car les personnes participant au CAS travaillent prioritairement au sein des institutions membres de l’ARIP (Association romande des institutions psychiatriques).
L’analyse des terrains de soins montre que les facteurs entravant et favorisant l’ECI-EM se regroupent dans quatre catégorisations: cadre de la pratique, ressources, compétences et outils. De plus, les résistances des infirmières·ers s’ajoutent aux facteurs entravants et les caractéristiques propres au patient-famille sont ajoutées aux facteurs positifs.
Plusieurs éléments constituent un cadre favorisant la pratique de l’ECI-EM. Ces éléments sont l’affirmation du rôle infirmier, la pratique des soins individualisés et une reconnaissance au niveau institutionnel de cette évaluation. A contrario, le manque de coaching/supervision, d’échanges interdisciplinaires, les horaires de travail irréguliers sont délétères.
Le manque de temps est un facteur qui peut faire défaut à la réalisation d’une expertise de qualité. Par conséquent, le temps à disposition et une dotation infirmière suffisante sont des facteurs qui vont favoriser l’implémentation de l’ECI-EM. Il est également relevé que l’accès à des personnes ressources (expert·e·s, clinicien·ne·s, mentors) va soutenir les collaborateurs·trices face aux changements de pratique.
Les compétences individuelles et collectives sont indispensables pour réaliser une ECI-EM performante. Il est recommandé de soutenir l’implémentation mais également la pérennisation des pratiques avec la mise en place de formations continues. La mobilisation de compétences telles que le raisonnement et le jugement clinique est une assise importante aux bonnes pratiques de l’ECI-EM.
La traçabilité du travail infirmier est un enjeu majeur. L’afflux des informations est très important et leur transcription est longue et chronophage. Ceci s’explique spécialement par les outils informatiques qui sont peu adaptés à la pratique de l’ECI-EM et à la structure d’une démarche de soins. L’utilisation d’instruments de mesure des symptômes (échelles) est à contrario un soutien à l’implémentation de l’ECI-EM.
La culture infirmière et le manque d’investissement et d’objectivité infirmière dans l’évaluation d’un·e patient·e lors d’hospitalisations récurrentes peuvent être des freins importants. En effet, la difficulté de faire valoir le rôle autonome et l’expertise clinique infirmière au sein d’une institution va impacter le sentiment de légitimité des infirmières·ers à pratiquer l’ECI-EM.
La réalisation d’un ECI-EM ne peut se faire indépendamment de l’utilisation des techniques de conduite d’entretien. L’infirmière·er doit avoir des habilités approuvées pour engager la·le patient·e dans un processus de soins tout en travaillant ses résistances afin d’amorcer l’alliance thérapeutique. Par conséquent, si la·le patient·e démontre une volonté de collaboration ou/et que l’état clinique n’est pas trop altéré par la symptomatologie ou par une intoxication, l’ECI-EM est plus facile à réaliser. Dans le cas contraire, l’intégration des proches est indispensable.
Cinq thèmes sont identifiés pour faciliter l’implémentation de l’ECI-EM: la culture institutionnelle, l’organisation des soins, le développement et transfert des connaissances, l’attitude soignante, la documentation, le protocole et la traçabilité.
– La pratique de l’ECI-EM doit s’ancrer dans une culture institutionnelle. Subséquemment, il est recommandé que l’ensemble des professionnel·le·s promeuve l’utilisation systématique de l’ECI-EM. Ce qui exclut tout enjeu de pouvoir et une clarification des territoires des pratiques cliniques.
– La pratique infirmière doit être repensée et définie. Pour y parvenir, une modulation de l’organisation actuelle doit être corrélée avec l’étendue de pratiques infirmières2 tout en y intégrant les outils indispensables à la performance clinique interdisciplinaire. En s’articulant autour d’un itinéraire clinique, les différentes approches professionnelles vont s’organiser afin d’optimiser l’efficience interdisciplinaire.
– Afin de modifier les pratiques, il est indispensable de développer et de favoriser le transfert des connaissances entre les infirmières·ers.
– L’ECI-EM témoigne d’une performance clinique de notre profession car les observations et l’analyse clinique infirmière sont affinées. Toutefois, certaines représentations infirmières de leur rôle peuvent engendrer des attitudes négatives vis à vis de cette nouvelle pratique. Afin de surmonter ces résistances, la direction des soins doit porter et asseoir ses attentes concernant l’implémentation de l’ECI-EM.
– L’amélioration de la traçabilité est un levier important pour permettre un suivi optimal de la démarche de soins et de la performance clinique. Il est donc impératif d’améliorer les programmes informatiques.
Le présent article fournit des déterminants influençant l’implémentation de l’ECI-EM3. Il est utile de les considérer en phase de pré-implantation afin de préparer au mieux le changement organisationnel. Dès lors, la construction du processus d’implémentation sera plus rigoureuse et adaptée à l’environnement et aux circonstances spécifiques propres à chaque institution4.
Autres auteurs∙trices du présent article: Volée CAS-CIP 2019–2023 et volée CAS-CIP 2023–2025; Dorota Drodzek (adjointe à la direction des soins) et Adrien Utz, spécialiste clinique, fondation de Nant.
1Brûlé M, Cloutier L, Doyon O. L’Examen clinique dans la pratique infirmière. Saint-Laurent, Qué.: ERPI; 2002. 750 p.
2Déry J, D’Amour D, Roy C. L’étendue optimale de la pratique infirmière. 2017;14.
3Lescarbeau R, Payette M, Arnaud YS. Profession: Consultant. Édition: 4e. Boucherville, Québec: Gaetan Morin Editeur; 2004. 333 p.
4Collerette P, Delisle G, Perron R. Le changement organisationnel: Théorie et pratique. Sainte-Foy, Québec: Presses de l’Université du Québec; 2005.
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