indicateurs soins infirmiers approche pratique Hopital intercantonal de la Broye
Competence Readtime5 min
2. avril 2024

Focus

Approche pratique

Soins infirmiers: «L’indicateur ne doit pas devenir un but en soi»

Infirmière clinicienne spécialisée, Anne Fishman détaille de quelles manières les équipes soignantes font appel aux indicateurs pour améliorer la prise en charge des patient·e·s.
Competence Muriel Chavaillaz

auteur

Muriel Chavaillaz

Journaliste de Competence pour la Suisse romande et le Tessin

muriel.chavaillaz@hplus.ch

Comment utilisez-vous les indicateurs au quotidien, dans votre travail en soins infirmiers?

Les indicateurs permettent de monitorer ce qui est fait et cela est essentiel dans une perspective d’amélioration continue: prise·e dans le flux quotidien, en tant que soignant·e on ne se rend pas toujours compte de ce qui est habituel ou inhabituel. Il a été démontré que plusieurs indicateurs sont sensibles aux soins infirmiers et sont capitaux pour mesurer la qualité, ils permettent de révéler si les soins proposés correspondent aux besoins des patient·e·s. Afin d’éviter les escarres, par exemple, il est possible d’instaurer une détection du risque, ce qui nous permet d’agir en amont pour éviter au maximum ces lésions dermatologiques liées à la pression exercée par un plan dur sur la peau de la·du patient·e.

Anne Fishman-Bosc, infirmière clinicienne spécialisée, Hôpital intercantonal de la Broye (HIB).

Comment détectez-vous ce risque d’escarre?

Nous utilisons l’échelle de Braden, une échelle reconnue dans la discipline infirmière, qui permet d’objectiver si le risque est élevé ou non. C’est une méthode d’évaluation standardisée et validée qui prend en considération de multiples facteurs. Selon le résultat obtenu, des interventions infirmières sont mises en place en fonction du risque: comme par exemple le choix d’un lit plus approprié, la mobilisation, ou l’installation au fauteuil pour les repas, etc.

De quoi dépend la réussite de telles mesures de prévention?

Selon moi, cela dépend de la continuité des soins et cela est vraiment lié à la maturité des équipes. Au début, les équipes fonctionnent davantage à l’instinct, chacun·e fait ce qui lui semble être juste sans qu’il y ait de vision systématisée ce qui génère des défauts de continuité. Ensuite, les responsables s’engagent, contrôlent, définissent des procédures, il y a une véritable supervision pour améliorer la continuité et la qualité des mesures de prévention. Au stade suivant, chacun·e est conscient de ce qu’il faut faire, connaît les standards, fait attention personnellement de suivre les mesures de prévention, que les responsables supervisent ou non.

Enfin, au dernier stade, celui des équipes les plus matures, l’esprit d’équipe est très présent, chaque membre est un maillon fort de l’ensemble et pense que la réussite dépend non seulement d’elle ou de lui, mais aussi des autres et joue un rôle positif dans la mise en œuvre des mesures de prévention.

Quand une équipe atteint ce niveau, on utilise vraiment les indicateurs pour leur fonction : personne n’hésite à signaler un événement, car cela pourra servir à apprendre quelque chose au niveau de l’équipe. L’idée est donc de sensibiliser chacun·e, de s’appuyer sur des compétences interdisciplinaires qui dépassent l’individuel pour bénéficier au collectif. Les indicateurs prennent tout leur sens et sont bien plus utiles que s’ils sont stockés dans un classeur vertical que l’on sort une fois par an pour faire un bilan.

Pour les soignant·e·s, devoir saisir ces données n’est-il pas synonyme de charge supplémentaire?

Cela peut être vu comme cela au début des projets d’amélioration de la qualité des soins, effectivement. Récemment, nous avons fait un travail sur l’évaluation des besoins en soins palliatifs en implantant une échelle spécifique (ID-PALL), qui a été conçue par une infirmière vaudoise dans le cadre de son doctorat en sciences infirmières. Lors de la présentation du projet, les soignant·e·s étaient partant·e·smais avaient des craintes sur le temps qui serait pris pour renseigner l’échelle. Toutefois, très vite, elles et ils se sont rendus compte que cela permettait de mettre en évidence des besoins et d’en discuter. Puis elles et ils nous ont demandé: «et maintenant, que fait-on?».

Les équipes sont très sensibles à l’utilité de l’évaluation et au sens quant au suivi de l’indicateur, si cela est clair, alors elles sont partantes.

Avec ces données, cela permet de baser l’offre de soins et les décisions sur un indicateur fiable qui peut être mesuré et suivi, et pas uniquement sur une intuition, un sentiment.

Pour les soins palliatifs, vous avez ensuite pris des mesures concrètes.

Totalement. Nous avons instauré la tenue d’une réunion hebdomadaire, où des spécialistes du domaine participent également pour encadrer les soignant·e·s, et pour proposer des solutions adaptées aux besoins identifiés. De plus, deux personnes de l’équipe ont souhaité désormais se former en soins palliatifs, une façon pour elles de devenir une ressource supplémentaire pour les autres membres de l’équipe. Les indicateurs, dans ce cas particulier, permettent à l’équipe de se sentir pleinement soutenue ainsi que de répondre à des souhaits, parfois très spécifiques ou originaux, pour accompagner dignement des patient·e·s en fin de vie.

Utiliser les indicateurs modifie-t-il la façon dont les infirmières·ers travaillent?

Oui, très certainement. Lorsque l’habitude de mesurer nos processus, nos résultats ou la satisfaction des patient∙e∙s n’existe pas, on passe à côté de nombreux paramètres et à côté aussi de la possibilité de transformer les soins. Utiliser les indicateurs fait émerger des besoins de formation dans les équipes mais donne aussi aux soignant∙e∙s davantage confiance en leurs compétences, en leur capacité d’utiliser le raisonnement clinique et de partager les résultats avec les professionnel∙le∙s des autres disciplines. Mais l’indicateur doit rester un indicateur, il ne doit pas être vu comme un but en soi. Sinon, tout le monde se trompe de cible. Car si l’on pense aux nombres de chutes par exemple, il suffirait de ne plus signaler les chutes ou alors de contentionner fermement les patient·e·s en les laissant toute la journée dans leur lit pour que l’indicateur tombe à zéro. On passerait alors totalement à côté de l’objectif d’amélioration continue de la qualité des soins et de respect des besoins des patient∙e∙s…

Photo de titre: via Canva.com